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Bologne: les études standardisées

Comparabilité, compatibilité et mobilité sont les maîtres mots des accords de Bologne. Pas toujours pour le meilleur, souvent pour le pire.

Qui n’a pas encore entendu parler de Bologne? Plus grand-monde, probablement. Et parmi les étudiant•e•s, rares sont celles et ceux qui ignorent encore qu’ils/elles devront passer par là, qu’ils/elles le veuillent ou non. Mais pour Bologne, plus besoin de prendre le train, puisqu’on sert dorénavant la même sauce dans toutes les universités d’Europe. La même sauce… ou presque. Mais rappelons d’abord les ingrédients principaux du processus.

Un bac à l’uni…

Le plus visible d’abord: le processus de Bologne, c’est avant tout la nouvelle structuration des cursus de diplôme et de licence en bachelors et en masters (ou mastaires, ou mastères, ou maîtrises, suivant la tradition). Officiellement, il s’agit de rendre comparables entre eux les titres européens et de favoriser ainsi un choix éclairé des étudiant•e•s dans l’offre de formation, mais aussi à rendre ces titres directement compatibles dans le but de faciliter les changements d’université en cours de formation.

Le dernier but s’avoue plus difficilement, mais n’en forme pas moins le cœur même de la réforme: le bachelor devrait, à terme, devenir le titre universitaire pour la masse, alors que le master permettrait d’écrémer les effectifs – financièrement ou par une sélection sur dossier des étudiant•e•s admis•es. Officiellement, en Suisse, les masters universitaires sont ouverts à quiconque dispose du bachelor correspondant; cependant, les hautes écoles spécialisées montrent la voie: une moyenne de cinq au moins au bachelor y est nécessaire pour poursuivre ses études…

Tout travail mérite crédit

Le deuxième volet de la réforme a trait à la quantification de l’apprentissage. Au lieu d’examiner par une épreuve orale ou écrite si les objectifs sont atteints, on vise au contraire à établir de façon standardisée le nombre d’heures de travail nécessaires pour acquérir certaines compétences. Si cette réflexion peut avoir un aspect intéressant, celui de pousser à concevoir les études comme un travail («travail» dont la véritable nature resterait à définir, puisqu’on ne saurait simplement l’assimiler à n’importe quelle activité salariée), on ne peut que regretter l’extrême scolarisation des études qu’elle entraîne, due à la volonté de contrôler au maximum chaque étape de l’apprentissage.

Enfin, le troisième aspect essentiel concerne la définition des cursus en termes de learning outcomes, ou acquis de formation, qui sont essentiellement les compétences dont l’étudiant•e est censé•e disposer au terme d’un cursus. Là encore, on ne parle que comparabilité et lisibilité des diplômes: il faudra que l’entreprise lambda sache quelle est la différence entre les titres universitaires des candidat•e•s à un même poste…

Un changement pour le mieux ?

Certains des objectifs du processus de Bologne sont à saluer, notamment celui de renforcer la mobilité étudiante ainsi que celle du personnel des hautes écoles. Cependant, dans ce domaine comme dans d’autres, rien n’a encore changé autrement que pour le pire.

Cela tient certainement à deux caractéristiques fondamentales du processus. Premièrement, il se situe volontairement à la frontière entre politique de la formation et administration universitaire. Comment s’étonner que la mobilité reste si peu pratiquée si l’on ne prend pas la décision politique de mettre à disposition suffisamment de moyens pour la rendre réellement possible, puisque le facteur financier reste le premier motif de découragement vis-à-vis des séjours dans d’autres universités? Dans ce domaine comme dans d’autres, on demande aux universités et autres hautes écoles de résoudre des problèmes sans en avoir le pouvoir.

Deuxièmement, comme toute modification profonde d’une structure institutionnelle, celle-ci n’est en aucun cas neutre idéologiquement. C’est ainsi que le processus de Bologne, sans des apparences techniques, a de profondes implications sur la formation universitaire. Pour le dire d’une phrase: le processus de Bologne prépare le terrain de la constitution d’un marché européen libéralisé pour la formation supérieure.

Technique et idéologie

Cette conclusion un peu abrupte s’explique aisément. La transparence visée pour les titres et les acquis qu’ils recouvrent correspond à l’information dont doit, en bonne théorie libérale, disposer le consommateur dans un système de concurrence libre et non faussée. La mobilité étudiante va dans le même sens en postulant le libre choix parmi les «produits de formation», indépendamment de tout critère géographique, qui fera apparaître par la force des choses les meilleures prestataires, eux-mêmes placés dans une situation de compétition (ce qui, soit dit en passant, explique à quel point le discours apparent de promotion de la coopération entre institutions peut s’avérer un leurre). Enfin, le saut des savoirs aux compétences achève le tableau: l’éducation supérieure ne crée ni ne transmet plus de connaissances, elle formate les futur•e•s employé•e•s de l’Europe, elle-même vouée à devenir «l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde en 2010», objectif que posaient en 2000 les chefs de gouvernement de l’Europe réunis à Lisbonne. Et qui fait plutôt froid dans le dos…
 

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