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Une assurance sociale qui mérite son nom

En cas d’acceptation, l’initiative pour une caisse unique permettrait d’ouvrir la voie vers une véritable assurance sociale dans le secteur de la santé. Interview avec Pierre-Yves Maillard, vice-président du PSS et conseiller d’Etat en charge du département de la santé du canton de Vaud.

Pages de gauche: Dans le cadre de tes interventions, tu fais fréquemment la comparaison entre l’AVS et l’idée de la caisse unique dans l’assurance-maladie. Pourquoi?

Pierre-Yves Maillard: Comme l’AVS et l’assurance-chômage, l’assurance-maladie a pendant longtemps été fondée sur des caisses patronales, syndicales ou paritaires. Or, les trois assurances n’ont pas évolué de la même façon. En 1948 l’AVS voit le jour et limite ainsi l’organisation privée des retraites et en 1976 l’assurance-chômage devient à son tour une assurance nationale. Les deux assurances sont fondées sur le principe d’un fonds central sur le plan de la collecte des primes et des prestations et une certaine concurrence entre les différentes filiales des deux assurances en ce qui concerne la qualité des prestations fournies aux assuré-e-s.

En matière d’assurance-maladie, nous nous trouvons aujourd’hui confrontés à un tournant comparable: ou bien l’assurance-maladie emprunte le chemin de l’AVS et de l’assurance-chômage ou bien le contrôle exercé par des groupes d’assureurs privés comme Helsana ou le Groupe Mutuel va s’accentuant. La seconde voie signifie le maintien d’un financement anti-social et la préservation de l’opacité des pratiques de certaines caisses, la première permettrait d’aller dans le sens d’une assurance sociale dans le secteur de la santé.

Financement anti-social et opacité des pratiques des assureurs privés. Que faut-il entendre par-là?

Premièrement, la participation financière des pouvoirs publics suisses à l’assurance-maladie est la plus base en Europe. Elle atteint seulement 25% des coûts.

Les dépenses directes des ménages helvétiques pour la santé (paiements non-couverts par l’assurance obligatoire de base) se situent quant à eux parmi les plus élevées des pays membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). La Suisse vient juste après le Mexique, la Grèce et la Corée du Sud.

Aux dépenses directes s’ajoutent les primes d’assurance par tête, le mécanisme de financement le plus anti-social qui soit. En second lieu, le manque de contrôle du système permet aux assureurs de partir à la chasse aux bons risques. En effet, 1% des assuré-e-s génèrent aujourd’hui entre 25% et 30% des dépenses, alors que les 50% d’assuré-e-s qui ont la meilleure santé coûtent seulement 3%. De ce fait, les assureurs font tout pour éviter d’attirer les assuré-e-s potentiellement chers (personnes âgées, malades chroniques) et pour attirer les risques faibles (jeunes). Ils procèdent par exemple en remboursant avec beaucoup de retard les factures.

Et les fameuses dépenses publicitaires, les salaires des directeurs des caisses?

J’allais y venir. La situation actuelle a ça d’insupportable qu’elle rend possible des pratiques gestionnaires inadmissibles sur le dos des assuré-e-s et ce en toute impunité. Toute une série d’anciens administrateurs de caisses jouent aujourd’hui au grand manager et touchent des salaires très élevés. Chaque automne nous assistons à de véritables orgies publicitaires dans le seul objectif de redistribution des risques parmi les différentes caisses. Nos primes financent également un intense travail de lobbying parlementaire des assureurs (santésuisse), elles entretiennent des prétendus experts et d’économistes de la santé dépendants des caisses.

Heureusement que l’avis de droit publié à fin 2006 concernant l’utilisation illicite des primes par santésuisse dans le cadre de sa propagande contre l’initiative sur la caisse unique a mis en évidence cette problématique et même contraint Pascal Couchepin de mettre de l’eau dans son vin.

Et le contrôle des caisses? Du point de vue légal, il devrait exister. Qu’en est-il en réalité?

Cette question touche un enjeu central. Figurez-vous que les quelque 90 caisses d’assurance-maladie que compte notre pays sont contrôlées par seulement trois ou quatre fonctionnaires de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP)! Chaque caisse reçoit la visite d’un réviseur tous les six ans. Impossible dans ces conditions de contrôler par exemple le système de réserves des caisses.

D’après mes informations, environ 200 millions de francs suisses disparaissent année par année dans des réserves latentes, c’est-à-dire des réserves regroupant notamment certaines types de papiers-valeurs (actions, obligations, etc.) qui sont très souvent comptabilisés à une valeur en-dessous de la valeur de marché pour faire croire à un faible rendement des fonds propres des caisses. En outre, certaines grandes caisses se trouvent sous un même toit avec des assurances privées classiques et qui génèrent donc des profits.

Impossible de dire sans un vrai pouvoir de contrôle si ces caisses effectuent des transferts depuis l’assurance-maladie de base vers d’autres secteurs du groupe ou de la holding.

Quels changements apporterait alors la caisse unique par rapport à la situation actuelle?

J’en citerai trois. Tout d’abord, les Chambres fédérales auraient l’obligation de prévoir un système de financement des primes en fonction de la capacité économique des contribuables et des ménages. On devrait notamment supprimer les primes pour enfants et jeunes en formation. Ensuite, toutes les prestations seraient versées depuis un fonds national à l’instar de l’AVS et de l’assurance-chômage. La concurrence entre les différentes caisses qui existent aujourd’hui pourrait se limiter à la seule fourniture de la prestation, c’est-à-dire la rapidité des paiements, de l’accueil, de la politique de prévention des caisses peut-être aussi, et non pas en fonction de la hauteur des primes. C’est le modèle aujourd’hui en vigueur dans l’assurance-chômage.

Cela permettrait d’économiser plusieurs centaines de millions de francs chaque année par rapport à la situation actuelle. Enfin, la caisse unique introduirait de la démocratie et transparence dans l’assurance-maladie. Les caisses pourraient être dirigées par des directions tripartites comme à l’AVS, l’assurance-chômage et la CNA.

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