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«L’information de qualité a un coût»

La Liberté est l’un des rares quotidiens indépendants de Suisse. Premier tirage du canton de Fribourg, il semble faire fi, du haut de ses 100’000 lecteurs, des difficultés récentes de la presse payante. Rencontre avec Louis Ruffieux, son rédacteur en chef.

PdG: Pouvez-vous nous dire deux mots de l’action «L’information a un prix, celui de la qualité» qu’a récemment menée La Liberté?

LR: Nous avons voulu faire un clin d’œil à notre lectorat, qui est de plus en plus submergé par les gratuits. Concrètement, nous avons distribué une petite brochure qui, en sept points, rappelait pourquoi l’information de qualité a un coût. C’est ce coût qui nous permet notamment d’avoir une rédaction de plus de soixante journalistes et un réseau de correspondants à l’étranger.

Cette action répond-elle à une menace représentée par les quotidiens gratuits?

Pas directement, non. J’observe au contraire que La Liberté est l’un des rares quotidiens qui ont pu maintenir leur tirage contrôlé, voire l’accroître légèrement. Mais, à long terme, il est clair que nous allons souffrir de la concurrence des gratuits. Heureusement, pour l’instant, nous pouvons compter sur un taux d’abonnements très élevé, qui nous garantit une certaine fidélité de la part de notre lectorat. Ce «contrat de confiance» nous permet de traiter de sujets de fond, d’intérêt général et de ne pas courir après des sujets vendeurs.

Parlons sujets justement. Les quotidiens gratuits évacuent toute prise de position afin de pouvoir séduire un large lectorat. Étendre son lectorat, n’est-ce pas aussi un objectif pour vous?

Je prendrais le problème sous un autre angle. Notre journal est doté d’une charte. Celle-ci nous donne pour mission de défendre la vérité, la justice, la liberté, ainsi que la dignité humaine. Ce sont peut-être de grands principes généraux, mais c’est un magnifique programme. Très clairement, plusieurs campagnes de l’UDC me semblent aller à l’encontre de ces principes. Je trouve important de le dire et de condamner ces agissements. Même si cela signifie perdre quelques lecteurs proches de ce parti.

On nous dit que les gratuits ne donnent pas leur opinion… Mais encore faudrait-il qu’ils présentent de vrais problèmes sur lesquels avoir une opinion! Ou bien alors on estime qu’on peut avoir une opinion sur les dernières frasques de Britney Spears…

A votre avis, en quoi les gratuits ont-ils modifié le paysage de la presse?

Je dirais qu’ils l’ont modifié négativement à deux égards.

Tout d’abord, ils font croire aux jeunes lecteurs que l’information n’a pas de coût, ce qui est faux. Quant à l’hypothétique «intérêt des jeunes pour la lecture» que les gratuits susciteraient, je dois dire que je suis sceptique. Rien ne prouve qu’un jeune, habitué à un journal gratuit, décide à un moment donné de débourser plusieurs centaines de francs pour s’abonner à un journal payant.

De plus, l’arrivée des gratuits a fait mal aux payants. Évidemment, cela se ressent à la vente au numéro mais aussi auprès des annonceurs. Lorsqu’on peut acheter une annonce dans 20 minutes et toucher l’ensemble de la Suisse, c’est tentant. Je me suis laissé dire que le lancement du Matin bleu vaudrait à Edipresse des pertes annuelles qui se chiffrent en millions: perte directe du gratuit, baisse du tirage et des ventes des payants. Résultat, les journaux payants doivent faire des économies. Et lorsqu’un journal doit faire des économies, il ne peut s’en prendre qu’à la masse salariale et donc, en premier lieu, aux journalistes. Qui sont les premiers à passer à la trappe? Notamment les journalistes d’investigation, dont le travail est long et, parfois, infructueux. Cette dynamique risque de rapprocher, au niveau qualitatif les payants des gratuits. Cette évolution est inquiétante car la presse peut-elle encore, dans ces conditions, exercer son rôle fondamental d’acteur démocratique, et parfois de contre-pouvoir?

 

Propos recueillis parJulien Wicki

 

 

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