Élections parlementaires croates 2024 : Plenki, Zoki, c’est (enfin) fini ?

Karel Zetkin

La montagne a tremblé… pour accoucher d’une souris. Les résultats finaux des élections parlementaires croates sont tombés le 18 avril au matin et l’on peut dire, contrairement à l’expression selon laquelle tout change pour que rien ne change, que si rien n’a vraiment changé, tout va être bouleversé. 

Récapitulons. Lorsque le gouvernement croate, sous le deuxième mandat du Premier ministre libéral-conservateur modéré HDZ Andrej Plenković, donne sa démission en début d’année, les choses semblent jouées d’avance: le parti au pouvoir dispose d’une stable et confortable majorité relative de près de 30 % des voix dans les sondages, alors que son concurrent le plus proche, le Parti social-démocrate (SDP), est loin derrière avec près de la moitié des intentions de vote en moins que le HDZ. 

Iznogoud, mais à l’envers : le Président qui se rêvait Premier ministre

C’était sans compter sur le plus volatile et virulent critique du gouvernement de Plenković, l’ancien Premier ministre social-démocrate entre 2011 et 2015, Zoran Milanović, parfois qualifié de «Trump croate ». Après un mandat passé à (littéralement) insulter le Premier ministre Plenković (invectives que ce dernier lui rend bien), Milanović annonce à la surprise générale qu’il sera candidat au poste de Premier ministre si une coalition d’opposition menée par le SDP devait remporter les élections du 17 avril 2024.Bouleversement général et chaos total dans le champ médiatique, la Cour constitutionnelle — parfois accusée de trop grande proximité avec le parti au pouvoir — décide de trancher: ni Milanović ni le SDP n’ont le droit de mentionner la potentielle candidature de l’actuel président durant la campagne, à moins que celui-ci ne démissionne sine die de sa fonction de chef d’État. Milanović s’abstient. S’ensuit alors une campagne électorale où il joue le rôle de spectre: s’il n’est sur aucune lèvre, il est dans tous les esprits, ainsi que sur tous les réseaux sociaux où il appelle à voter pour « n’importe qui sauf le HDZ » qu’il dénonce comme étant une « pieuvre de corruption » (expression courante en croate).

Le SDP n’y arrive décidément pas

Si le SDP grimpe alors momentanément dans les sondages, le séisme attendu n’a pas eu lieu. Certes, le HDZ a perdu des plumes et surtout des sièges – que le Premier ministre lui-même met sur le dos de la grande participation aux élections -, à l’instar de l’extrême droite (Mouvement patriotique) mais pas de la droite indépendante (Most), alors que la gauche se renforce. Le mouvement écologiste citoyen au pouvoir dans la capitale de Zagreb, Možemo! (Nous pouvons!), gagne des sièges, le mouvement indépendant « Sjever » (Nord) entre au Parlement, les autonomistes istriotes centristes de l’IDS gagnent un siège. 

Quant au SPD, c’est la débâcle. Comme en 2020, il s’attend à une éclatante victoire, et, comme en 2020, il échoue largement à faire déborder les « rivières de la justice », nom de leur coalition (Rijeke pravde), en ne gagnant qu’un seul maigre siège de plus. Il n’aura au moins pas été détrôné par les Sociaux-Démocrates, courant dissident du SDP qui a fait sécession comme groupe parlementaire en 2021 avant de fonder leur parti en 2022 et qui échoue aujourd’hui à assurer quelque représentation que ce soit au Parlement. Bref, en additionnant tous les sièges de la gauche, l’on obtient 66 sièges sur les 76 nécessaires pour former une majorité. Pari raté ?

Des téléphones de l’extrême-droite au centre-gauche : quelle coalition au pouvoir ?

Dès le soir du 17 avril, jour des élections, les téléphones ont sonné dans tous les camps pour former une majorité, quelle qu’elle soit. Un novice en politique croate, partant de l’idée d’un simple clivage gauche-droite, parierait évidemment sur une alliance entre le HDZ (61 sièges), le Mouvement patriotique (14 sièges) et Most (11 sièges) — une majorité confortable de 86 sièges, en soi. 

Sauf que voilà : le Most a déjà déclaré qu’il ne souhaitait pas entrer en coalition avec le HDZ, l’ayant déjà fait deux fois sans grand succès, tandis que le Mouvement patriotique profite de sa position de faiseurs de rois pour manger à tous les râteliers, tout en favorisant ouvertement une coalition avec le HDZ – dont la majorité de ses membres sont après tout issus. Car en effet, ni l’extrême-droite ni le centre-gauche ne se refusent à ce que les médias appellent désormais une « coalition anti-HDZ ». 

Les deux gouvernements du Premier Ministre Plenković au pouvoir depuis 2016 n’ont en effet pas vraiment brillé par leur intégrité, pas moins de 30 ministres ayant dû démissionner, dans leur grande majorité pour des questions de prises illégales d’intérêts, de détournements de fonds, bref de corruption.

L’union des socialistes et des nationalistes ? L’improbable coalition « anti-HDZ »

Rien n’est évidemment encore joué, et les négociations sont en cours. Une alliance très large et « anti-HDZ », techniquement concevable, est peu crédible: il n’y a, idéologiquement et politiquement, absolument aucun point d’entente entre le Mouvement patriotique et l’ensemble de la gauche, tandis que les élus du Most se perdent souvent dans des rhétoriques complotistes concernant la communauté LGBT+ ou le COVID-19. Le Mouvement patriotique a d’ailleurs d’emblée écarté toute coalition avec les ecologistes de Možemo!.

Une alliance avec les autres formations de droite et d’extrême-droite, outre qu’elle lui fermerait la porte de négociations avec les minorités nationales (qui possèdent 8 sièges réservés au Parlement), coûterait cher au HDZ, qui s’est efforcé de présenter une image plus modérée sous le leadership de Plenković. Elle coûterait cependant encore plus cher au Premier ministre lui-même, puisque les potentiels partenaires de coalition veulent dans leur majorité sa tête. D’ailleurs, l’alliance, de plus en plus probable, avec le Mouvement patriotique ne lui garantit toujours pas les 76 sièges requis et exclurait automatiquement toute autre alliance, en plus d’avoir été mal reçu par ses partenaires de coalition électorale, les libéraux du Parti Social-Libéral (HSLS) dont les voix lui sont également nécessaires.

La situation ne serait-elle une revanche pour le Président Milanović, qui n’a jamais digéré sa défaite contre Plenković en 2016 ? Pas sûr : les potentiels partenaires de coalition de la gauche ne veulent pas non plus de lui, en sus du fait que la Cour Constitutionnelle croate l’a tout simplement déclaré inéligible à ce poste le 19 avril, qu’il démissionne de sa fonction présidentielle ou pas… Une décision immédiatement et vertement critiquée par l’ensemble des partis d’opposition et par Milanović lui-même qui harangue les journalistes en les mettant en garde contre « un coup d’État qui vient » de la part du parti au pouvoir. Le HDZ, lui, reste très discret sur la question, quand il ne soutient pas ouvertement la Cour.

Plenki, Zoki, c’est enfin fini ?

À ce jour, tous les retournements de situation sont encore possibles, mais le temps où les deux « mastodontes » de la politique croate dominaient le jeu dans la Cité semble bel et bien révolu. Plenki et Zoki, comme on les surnomme, ne sont pas à court d’options: le premier, spécule-t-on, partirait volontiers à la Commission européenne (il porte d’ailleurs la liste pour les élections européennes en juin), voir à sa Présidence bien qu’il soit clairement un outsider face à une figure comme celle de Mario Draghi, tandis que le second reste favori des sondages pour un deuxième mandat présidentiel. Mais en ce qui concerne le pouvoir concret en Croatie, en tant que chef du gouvernement, ils risquent de devoir tourner la page. Espérons pour l’atmosphère démocratique croate que leur incessante guerre d’ego soit enfin bel et bien terminée.

Zagreb, 23 avril 2024

Crédit image: Suradnik13 sur Wikipedia.

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