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«L’esprit syndical doit abattre les divisions!»

Le 7 mars 2008, la direction des CFF annonce la fermeture des ateliers de Bellinzone et la suppression de 400 emplois. C’était sans compter sur la détermination des ouvriers des Officine. Entretien avec Gianni Frizzo, président du comité«Giù le mani dalle Officine!».

PdG: A quel moment décide-t-on d’arrêter le travail, de dire «stop»?

G.F.: Cela fait des années que l’on subit la technique du «saucissonnage» aux Officine… On a progressivement perdu une série de prestations, de droits et de places de travail, et toutes ces mesures étaient presque toujours injustifiées. Ces mesures ont peut-être un enjeu économique, mais elles ont aussi des implications sociales.

Nous avons dénoncé cette situation durant des années, jusqu’au 7 mars 2008, où on est venu nous porter un coup d’une dureté sans précédent! C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et qui venait s’ajouter au cumul des frustrations subies. Là on a décidé de dire «stop».

Il faut considérer que les ateliers ont ici une implantation sociale très forte, qui se manifeste par une forte appartenance et un attachement uniques des ouvriers à leur travail.

Quels sentiments ressent-on durant la grève ?

On ressent quelque chose d’incroyable! La peur, le mal-être, le sentiment de soumission et de devoir s’incliner aux décisions d’autrui seulement parce que ceux-ci occupent une position hiérarchique supérieure… Toutes ces barrières sont tombées avec la grève! On était tous à la même hauteur. Dans ces conditions, il devenait plus facile d’extérioriser nos émotions: les pleurs, les sourires. Il s’est dégagé de toute cette situation un grand et profond respect de tous envers tous, parce qu’on avait l’impression de pouvoir garder la tête haute, même dans les instants de fatigue extrême. Le soutien et la solidarité sont aussi venus de l’extérieur… On peut dire que c’est toute la beauté de l’humain qui s’est manifestée dans ce qu’on a vécu. Et c’est très surprenant ce qu’on ressent, parce que quand on se lance dans une grève, on ne sait ni de quoi sera fait le lendemain, ni quelle est la perception qu’en ont les gens à l’extérieur.

Un autre point fondamental est aussi la relation entre collègues. Avant, avec les rythmes de travail toujours plus soutenus, la flexibilité, les instruments de contrôle, la direction visait à instaurer et renforcer la division et la concurrence entre les travailleurs. L’esprit syndical doit justement abattre les divisions! Avec la grève, on a vu que s’est redéveloppée une véritable solidarité au travail, où chacun est impliqué dans le mouvement, quelle que soit sa position dans l’atelier, y compris hiérarchique. Et ça c’était magnifique. Cela nous a clairement montré que ce type de fonctionnement est possible, à condition de le vouloir.

Quels sont les meilleurs et les pires moments que l’on affronte quand on est en arrêt de travail?

Le pire moment, c’est avant la grève. La passivité ambiante. Quand toi tu luttes pour faire apparaître les problèmes qui nous attendent, et que tu as l’impression d’être abandonné, livré à toi-même.

Le plus beau moment, c’est quand tu dis basta!, où tu décides d’arrêter les frais et d’entrer en grève. Ce moment où tu comptes sur tes propres forces et celles de tous les collègues. Où plus personne n’a le droit de venir nous dire «vous devez vous calmer». Ce moment où toute cette rage, cette colère accumulée explose et se transforme en volonté de rachat, où on veut que notre dignité soit respectée.

Personnellement, cette expérience m’a marqué profondément. J’ai l’impression d’avoir touché le plus beau moment d’une vie: pouvoir voir ce qu’il y a en profondeur chez les gens autour de moi, mais aussi au plus profond de moi-même.

Propos recueillis et traduits par Maurizio Colella

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