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La gauche embarrassée par un programme de gauche


Willy Spieler
Texte publié dans la Neue Wege (juin 2011, n.6), traduction Romain Felli


A-t-on déjà vu chose pareille au PS? On rediscute d’un programme juste après son adoption et on cherche à le rendre inopérant au moyen d’une « motion de retrait ». Et ceci, alors même que le programme a été adopté par 420 voix contre 5 et 15 abstentions ! « Socialisme démocratique », « dépassement du capitalisme », « revenu garanti » et « suppression de l’armée », sont autant de provocations avec lesquelles les medias capitalistes lapident les oreilles de nos camarades. Même la direction du parti se laisse intimider par le verdict d’un « programme abracadabrantesquement éloigné de la réalité» (NZZ, 6.11.2010) de telle sorte qu’elle entre dans la campagne des fédérales comme si elle devait avoir honte du programme Pour une démocratie économique d’orientation sociale et écologique. Pourtant, le PS aurait un boulevard pour donner une réponse claire aux critiques ignorantes de l’histoire, analytiquement et socialement incompétentes qui ont été faites au programme, et surtout pour défendre fièrement sa vision dans le combat électoral. Comme autrefois, par exemple en 1943 !

Coup d’œil sur 1943

« Le vieux monde s’écroule – Au travail pour la construction d’une Suisse nouvelle ! », c’est avec ce slogan que le PSS a fait campagne en 1943. Le programme que s’était donné le parti s’intitulait La Suisse nouvelle. Il s’agissait de la meilleure élaboration de l’idée d’une démocratie économique jamais produite par le Parti. Ce n’est pas par hasard qu’il portait le même titre que le livre de Leonhard Ragaz, publié en 1918 et quatre fois réédité qui plaidait pour une Suisse coopérative. Le principal rédacteur du programme était Hugo Kramer, un socialiste religieux et un collaborateur important de la Neue Wege.

Le programme de 1943 prévoyait « de garantir également la démocratie avec ses libertés individuelles et ses droits politiques à l’Homme et à la Femme, et de l’étendre au domaine économique grâce au développement des formes d’organisation coopérative ». Les grosses banques, les sociétés d’assurance, ou les principales industries devaient être prises en mains publiques afin d’être démocratisées. Une phrase clé en est : « La communauté économique démocratique se construit au niveau communal, régional et national par des institutions auto-organisées et élimine les rapports de domination et de dépendance de l’économie capitaliste ». Ou, pour faire bref, « l’économie du pays est l’affaire de toute la population », « Le Capital sera mis au service du Travail ».

Et que s’est-il passé ? Malgré les polémiques bourgeoises contre ce programme (et, en fait, contre tous les programmes social-démocrates) la Nouvelle Suisse a conduit la gauche à la victoire. Le PS a gagné pas moins de 11 sièges et est devenu le parti le plus important avec le groupe parlementaire le plus nombreux. Il s’agit de la plus grosse victoire jamais acquise par le PSS.*Le champ de ruine que laisse derrière lui le capitalisme actuel ne requière pas moins d’alternatives. Nous ne sommes pas encore sortis de la crise financière. Ses coûts ne sont pas payés par ceux qui l’ont causé et qui paradent comme des « global players » mais par les travailleuses et travailleurs qui voient fondre les revenus réels, les retraites ou les prestations sociales.

Nous sommes soumis à une lutte des classes par en haut. Elle se déguise sous le manteau des contraintes inflexibles de la soi-disant « globalisation », et bien peu la reconnaissent au travers du brouillard dégagé par les fumigènes du néolibéralisme. Même la crise écologique, avec « Fukushima » comme nouveau signe maudit, est immanente à un système qui cherche à dégager du profit aux dépens des bases naturelles de notre existence. Par dessus tout, le pire des scandales de longue durée reste la faim dans le monde dont souffrent, pour la première fois dans l’Histoire, plus d’un milliard d’êtres humains.

Le PSS parle de ces crises dans son nouveau programme et cherche des alternatives. Elles se trouvent, comme en 1943, dans la démocratisation de l’économie et, de manière nouvelle, dans sa transformation écologique à toutes les échelles, de l’entreprise jusqu’au niveau national et international. Et, comme en 1943, le programme s’organise sur le plan de l’éthique sociale autour des valeurs de Liberté, Justice et Solidarité.

Le programme Pour une démocratie économique d’orientation sociale et écologique n’est pas, à l’instar de celui de 1943, taillé d’un seul bloc. Il n’est pas exempt de contradictions et reste, surtout, beaucoup trop long et mal rédigé. La direction du parti a même proposé au Congrès de procéder à un résumé qui contiendrait l’essentiel des alternatives et des propositions sous une forme concise et cohérente. Mais, ce qui compte aujourd’hui, c’est le courage du Congrès de Lausanne de rompre avec la « pensée unique » néolibérale de l’économie, de la politique et des médias, de la remplacer par des visions qui correspondent aux désirs de la base et qui motivent pour le combat électoral. La JS qui soutient de manière conséquente le programme en fournit la preuve par l’acte. « Dans les sections cantonales ayant bien accueillis le nouveau programme, nous avons déjà gagné », déclare le président de la JS David Roth (links, avril 2011) qui vient d’être élu au grand conseil lucernois et qui a ainsi contribué au gain de trois sièges du le groupe PS.

Des provocations ou des visions?

Pour une fois, la NZZ (25.3.2011) a raison lorsqu’elle déclare, non sans joie perverse que « les camarades qui donnent le ton », depuis l’approbation du nouveau programme du parti, « jouent à qui se distanciera le plus des décisions de la base (dépassement du capitalisme, suppression de l’armée) », car « le PS ressemble à une armée en déroute ». La seule alternative serait d’expliquer au peuple de gauche ce qui est écrit dans le programme, plutôt que de se précipiter pour le supprimer.

1. Socialisme démocratique

A l’encontre de la proposition de la direction du Parti, le Congrès a décidé de déclarer le « socialisme démocratique » et non seulement la « démocratie économique » comme constituant « notre vision ». C’est une bonne décision car, prise seule, la « démocratie économique » risque de conduire à une vision étroitement économiciste. Le socialisme démocratique signifie le dépassement de tous les rapports de domination, pas seulement ceux qui relèvent de l’économie, une éthique de solidarité, une nouvelle culture, la pluralité des choix de vie, et aussi l’ouverture aux différentes conceptions religieuses et philosophiques. Malheureusement, la version finale du programme a omis la déclaration suivante de la JS qui aurait permis de clarifier le concept : « Nous ne comprenons pas le socialisme démocratique comme un modèle de société abstrait, déterminé, et entièrement défini. L’Histoire nous a enseigné à nous montrer sceptiques lorsque que quiconque, individu ou groupe, prétend avoir trouvé un modèle idéal. […] Nous considérons que font partie de ce mouvement toutes celles et tous ceux qui se lèvent contre l’oppression politique, la domination sociale ou l’exploitation économique ». Cette omission néanmoins n’excuse pas la perversité de la présentation qui prétend que ce que le PS vise est le socialisme d’Etat autoritaire. Il suffit pour y répondre de se tourner vers les valeurs fondamentales du parti auxquelles, au nom justement de la « vision » du socialisme démocratique, le programme ajoute la notion de « dignité de la personne humaine ». Au surplus, le Parti social-démocrate allemand, qui est tout sauf radical, a, lui aussi, introduit la notion de « socialisme démocratique » comme horizon dans son programme de Hambourg de 2007.

2. Dépassement du capitalisme

Ce qui a conduit aux plus grands (et incompétents) débats est probablement la notion de « dépassement du capitalisme » qui a été ajoutée par le Congrès dans le programme. L’excitation provoquée par ce « gros mot » ne repose sur aucune base matérielle. Le capitalisme qu’il s’agit de dépasser n’est rien d’autre que la face négative de ce que le socialisme démocratique et la démocratie économique veulent transformer en positif. Dire de manière positive ce que le Parti veut est autrement plus constructif que de dire en négatif ce qu’il ne veut pas. Mais, puisque le programme souligne les deux, la vision d’une démocratisation de tout ce qui est démocratisable ainsi que la négation du capitalisme sont évidemment démocratiques et liés aux buts du programme. Le PS du Canton de Vaud a justifié cet amendement en écrivant : «pour nous la démocratisation de l’économie constitue une méthode de dépassement du capitalisme. Il est utile de le mentionner dans le programme ».

Mais la « provocation » du « dépassement du capitalisme » a aussi une portée symbolique, puisque l’opinion publiée l’oblige à se déclarer comme un parti radical qui pose la question du changement du système, et non simplement comme un parti bourgeois de gauche. De surcroit, il contrecarre les provocations vulgaires de la droite par une provocation désirable de gauche, qui ne souhaite plus servir le système dominant. Le psychanalyste Daniel Strassberg le souligne lorsqu’il incite la « politique de gauche » à se « repolitiser » ainsi. « Au lieu de réguler la vie, elle doit créer du désir », « le Congrès l’a montré en décidant d’abolir le capitalisme » (TA 16.12.2010).

3. Revenu de base inconditionnel

Le vote du Congrès sur un « revenu de base inconditionnel » a donné lieu à quelques cafouillages. La présidence de séance a fait voter sur le « revenu de base inconditionnel », mais sur le fond c’est de mon amendement qu’il s’agissait, un amendement n’allant pas aussi loin et qui se contentait de réclamer l’extension du système de complément de revenu à tous les ménages touchés par la pauvreté. Il est donc écrit dans le programme : « Subsidiairement à l’assurance générale du revenu et au salaire minimal couvrant les besoins essentiels [tous deux déjà exigés par le programme, W.S.], il faut introduire un revenu garanti assurant que celles et ceux qui ne fournissent pas de travail salarié au sens traditionnel puissent également vivre dignement. »[1] Le revenu garanti vise, par exemple, à empêcher qu’une personne se trouve dans la détresse car elle travaille dans le secteur domestique non salarié, qui d’ailleurs produit aujourd’hui plus d’heures de travail que l’économie marchande. Pour arriver à l’acceptation d’un revenu de base inconditionnel, nous aurons encore besoin de quelques discussions. Quoi qu’il en soit ce « revenu garanti » est une première étape.

4. Suppression de l’armée?

La suppression de l’armée comme nouveau point du programme a causé l’effroi et le dégout jusque dans nos propres rangs. Comme ce qui est intolérable ne peut pas être toléré, la direction du parti s’est permis, au-delà de ce qui est démocratiquement permissible, de supprimer cette revendication dans la rédaction finale du programme. A notre grande surprise nous lisons donc : « L’objectif est la suppression de toutes les armées et leur remplacement par des troupes internationales de maintien de la paix dans le cadre d’un système collectif de sécurité sous l’égide de l’ONU. […] Par conséquent, le PS préconise la suppression de l’armée suisse. » Le « par conséquent » est le point crucial car il rend la suppression de l’armée suisse dépendante d’un système international de sécurité, qui permettrait dans un lointain futur la suppression de toutes les armées.

L’amendement du PS de Saint-Gall, accepté par 255 oui contre 195 non, ne contenait pas de « par conséquent » mais s’appliquait au contraire sans ambiguïté ici et maintenant. « Le PS exige la suppression de l’armée suisse ». Bien sûr, il ne s’agit pas de marginaliser les partisans et partisanes de l’armée au sein de nos propres rangs, de même que nous reconnaissions autrefois une forte minorité pacifiste malgré un programme favorable à l’armée, mais la base du parti ne peut pas accepter que sa volonté majoritaire soit simplement « rédactionnellement » défigurée au-delà du reconnaissable.

A garder en mémoire

La polémique contre les soi-disant « fondamentalistes » qui auraient fait dériver le Congrès sur des rivages lointains passe un peu rapidement sur le fait que les vrais « réalistes » se sont révélés être ceux qui, lors du débat d’entrée en matière, avaient proposé de renvoyer le texte à la direction du Parti. Ils voulaient donner le temps à la base de se forger une opinion sur les questions que l’on débat aujourd’hui, malheureusement pas de manière aussi constructive que l’on aurait pu souhaiter. La demande d’ajournement du débat est entrée en collision avec le calendrier électoral. On en voit la conséquence : gagner des élections est certes important, mais gagner des socialistes le serait encore plus.

L’article est également consultable sur le site du Cercle d’Olten.
Le nouveau programme du parti est consultable sur le site du PSS.


[1] NdT : La traduction française du passage cité par W.S. nous semble erronée dans le programme publié par le Parti. Nous l’avons remplacé ci-dessus par ce qui nous semblait être la traduction la plus proche du texte original. Pour information, voici le texte allemand « Subsidiär zur allgemeinen Erwerbsversicherung und zum existenzsichernden Mindestlohn soll eine garantierte Grundsicherung dafür sorgen, dass auch jene ein würdiges Leben führen können, die keine traditionelle Erwerbsarbeit leisten » et la traduction du PSS :« Subsidiairement à l’assurance générale du revenu et au salaire minimal couvrant les besoins essentiels, il faut introduire une assurance de base garantissant que celles et ceux qui ne fournissent pas de travail salarié au sens traditionnel puissent également vivre dans la dignité. »

 

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