Reconvertir pour éviter la casse

Léo Tinguely •

Avec la sortie de Pages de gauche no 182, dont le dossier est consacré aux aéroports, nous publions exclusivement en ligne un article supplémentaire. Pour recevoir le numéro en entier et soutenir une presse de gauche indépendante, abonnez-vous !


La crise du Covid aura asséné un coup d’arrêt sans précédent au secteur de l’aviation, mais c’est une seconde crise, climatique cette fois, qui devrait – et cela est souhaitable – accélérer la refonte du secteur. Entre nécessité de préserver les emplois et de décarboniser le secteur, les luttes syndicales et écologiques ont pour l’heure été dures à concilier. Il y a pourtant urgence, car ce sont les employé·e·s qui ont jusqu’alors payé le prix des turbulences et ce seront aussi elles et eux les premières victimes du crash.

Le mythe d’une aviation verte

Au printemps 2020, le Parlement suisse accordait des aides de près d’1,9 milliard de francs suisses au secteur de l’aviation, sans exiger en retour la moindre contrepartie en matière environnementale. Alors que le trafic aérien représente 27% de l’impact climatique suisse et 7% de l’impact mondial – et qu’un consensus scientifique indiquant que ces chiffres sont sous-estimés semble émerger, la Suisse ne dispose d’aucune stratégie contraignante de décarbonisation du secteur. À ce jour, il n’existe qu’une déclaration des acteurs de l’aviation indiquant leur volonté d’atteindre la neutralité carbone à cette échéance. En outre, l’industrie de l’aéronautique s’évertuent à dresser l’innovation comme seule et unique solution. Cette dernière est censée passer par l’émergence d’avions à hydrogènes et électriques ainsi que par l’utilisation de combustibles alternatifs. Petit bémol, voilà plusieurs années déjà que se multiplient des rapports mettant à mal le caractère durable ainsi que l’horizon temporel de ces propositions. En effet, non seulement l’hydrogène est aujourd’hui fabriqué à partir d’énergie fossile, mais le simple fait que le premier avion à hydrogène ne verra probablement pas le jour avant 2035 et que le renouvellement des flottes n’a lieu que tous les 25 ans suffisent à repousser l’hypothèse d’un parc aérien à hydrogène à 2050, soit bien trop tard. Pour diffuser leur enfumage sur «l’avion vert», les entreprises aéronautiques multiplient les vastes campagnes publicitaires de greenwashing, la création de labels écologiques bidons ou l’organisation de sommets de l’industrie prétendument placés sous le signe de la durabilité.

Des victimes d’ores et déjà connues

Derrière ce qui est donc au mieux un rêve naïf et au pire une odieuse façade, ce sont bien de conséquences humaines et écologiques dont il est question. Pour prendre la mesure du possible désastre qui s’annonce, rappelons le cas emblématique de Swiss. Durant la crise du Covid, la firme place ses employé·e·s en RHT, les privant ainsi de 20% de leur salaire. En parallèle, elle exige et reçoit 1,5 milliard d’aide de la Confédération avant de biffer 30’000 postes à travers le monde, tout en payant des bonus à ses dirigeant·e·s.

S’organiser et penser l’alternative

C’est ainsi qu’en France, la crise a agi comme un phénomène déclencheur. Depuis le début de celle-ci, des collectifs composés de salarié·e·s, syndicats, ONG, scientifiques et riverain·ne·s ont fleuri aux quatre coins du pays. En septembre dernier, ceux-ci s’unissaient pour organiser les premières assises de l’aviation. L’objectif est clair: amorcer une transition écologique socialement juste sans tomber dans l’illusion de l’aviation verte. Après dix journées de réflexion, il ressort que si la transition passera inéluctablement par une baisse du trafic, il est non seulement possible, mais surtout utile, d’agir pour la reconversion professionnelle des travailleuses·eurs du secteur, car leurs savoirs et leurs compétences ne se limitent pas à l’aéronautique. Que ce soit dans le ferroviaire, l’éolien, le solaire ou encore l’isolation des bâtiments, c’est l’entier de la transition écologique qui pourrait en bénéficier. Néanmoins, ces propositions rappellent évidemment que la thématique s’inscrit dans une réflexion globale et qu’un changement de cap significatif est plus que jamais nécessaire.  

Quid de la Suisse ?

À Genève, la Grève pour l’avenir de mai dernier aura permis de rédiger des cahiers des revendications et d’occasionner un rapprochement bienvenu entre le mouvement climatique et les syndicats, permettant de mieux conscientiser ces derniers comme les salarié·e·s. Si dans les milieux syndicaux, la question demeure sensible, les choses commencent tout de même à bouger. Une plateforme regroupant syndicats, partis de gauche et mouvement climatique a ainsi vu le jour, mais ses revendications et surtout ses activités restent encore mesurées. Là aussi l’idée consiste à ce que l’État reclasse tous les postes de travail supprimés à l’aéroport dans d’autres secteurs. Il faudra donc faire beaucoup plus: le climat comme l’avenir de milliers d’emplois l’exigent.

Crédits images : Pascal Meier sur Unsplash.

Ce texte est un article supplémentaire de Pages de gauche n° 182 (hiver 2021-2022).

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