Joakim Martins •
En prévision du cinquantenaire de la révolution des Œillets du 25 avril 1974, l’historien franco-portugais Victor Pereira a récemment publié un très bel ouvrage revenant sur les événements ayant conduit à la fin de l’Estado Novo. Alors que les dernières élections ont vu l’extrême droite fortement progresser, C’est le peuple qui commande revient avec brio sur le soulèvement à l’origine du retour de la démocratie au Portugal.
Face à l’impasse que représentent les guerres coloniales menées en Afrique par le pays, de jeunes capitaines structurent peu à peu le Mouvement des Forces armées (MFA). Le principal désir de ces officiers est d’instaurer un régime démocratique devant ramener la paix. Le 25 avril 1974, le MFA ordonne à la population de se barricader chez elle et initie un pronunciamento. Bravant ces consignes, le peuple portugais prend possession de la rue, encourage et appuie les militaires et s’assure que les caciques du régime ne puissent prendre la fuite. L’Estado Novo s’effondre comme un château de cartes. Le coup d’État se transforme spontanément en révolution.
Une journée pleine de tensions
Si les qualificatifs de non violent et de pacifique sont utilisés la plupart du temps utilisés pour décrire la révolution des Œillets, Victor Pereira relativise grandement cette association. Premièrement, le sang a bel et bien coulé le 25 avril 1974. À Lisbonne, la PIDE (la police politique) abat quatre manifestants et en blesse des dizaines d’autres. Un agent de la police politique en fuite est également tué par des militaires. Deuxièmement, cette journée est scandée d’intenses frictions, qui auraient pu déboucher sur de véritables carnages. À plusieurs endroits du pays, des prisons ou des postes de la PIDE sont assiégés par la population. Des salves de fusils sont également tirées par des militaires contre le commandement central de la gendarmerie dans lequel Marcelo Caetano — l’homme ayant succédé à António Salazar à la tête du régime — s’est réfugié.
Une révolution démocratique et socialiste
Si le fait que la révolution des Œillets ait conduit à la démocratisation, à l’intégration européenne et à la décolonisation du Portugal est souvent mentionné, le caractère profondément social de l’événement l’est beaucoup moins. Dès le départ, le MFA justifie dans son programme politique le coup de force qu’il mène notamment par sa volonté de mettre en œuvre une « stratégie antimonopoliste » — une façon alors à la mode dans les années 1970 de fondamentalement remettre en cause le capitalisme. Dès le début de l’insurrection, les idées socialisantes des putschistes rencontrent les attentes de larges franges de la population. D’immenses grèves, d’innombrables ccupations d’usines, de logements et de terres accompagnent rapidement le coup d’État. Le gouvernement provisoire issu du 25 avril met d’ailleurs en œuvre une réforme agraire et nationalise de nombreux secteurs de l’économie. Clôturant le processus révolutionnaire, la Constitution portugaise de 1976 parle même dans son préambule « d’ouvrir la voie vers une société socialiste ».
À lire : Victor Pereira, C’est le peuple qui commande. La révolution des Œillets 1974-1976, Bordeaux, Les Éditions du Détour, 2023.
Portugal 1974-1976 : une révolution oubliée ?
Pages de gauche vous invite à la conférence de Victor Pereira organisée par le Cercle Rosa Luxemburg le mercredi 15 mai 2024.
20h00 à la Maison du Peuple de Lausanne (place Chauderon 5), Salle Jean Villars-Gilles
Article paru dans Pages de gauche no 191.
Crédit image: L’Anticapitaliste.