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Quand Aimé Césaire disparut

 


 

A l’occasion de la disparition d’Aimé Césaire, auquel nous rendons hommage dans le n°67 de Pages de gauche, Henri-Michel Yéré nous a fait parvenir le poème suivant.
Pour Salma Kojok, 18 avril 2008.

 


Quand Aimé Césaire disparut,

Quand Aimé Césaire disparut, les morceaux de roc étalés au sol regardaient ébahis le dos de leur briseur qui prit son envol, pris de lumière, et que l’on fût à Dakar, à Paris, au Cap ou à Fort-de-France, tous virent la même étoile allumer les horizons sans fin du possible;

Quand Aimé Césaire disparut, nous entendîmes les pleurs et les regrets d’honneurs mal répartis ; pourtant mon cœur et ma pensée complices ne sommes que le temple de son chant, constant émetteur d’essentiel ;

Quand Aimé Césaire disparut, drapé dans les atours de l’humble disciple, je me parais fier de ses vers d’épine, de son parler morne, de ses mots de silex. J’affûtais mon âme toujours à la lime de sa langue qui dès l’aube enjamba un océan de quatre cents ans de profondeur ;

Quand Aimé Césaire disparut, aucun pont ne s’effondrait ; le feu qui brûle cette bibliothèque-là, sombre toujours, dans nos yeux, dans nos mains, dans nos têtes pour toujours ;

Quand Aimé Césaire disparut, le Sénégal dont le cœur battait à Joal dressait sa haute taille pour fixer l’horizon au sud de Gorée ;

Quand Aimé Césaire disparut, je me battais dans les lianes d’une époque qu’il connut ; je gardai la tête roide alors que journellement je consommai l’injure faite à mes ancêtres ;

Quand Aimé Césaire disparut, le grand-père, la fille et le petit-fils se regardaient, sonnés par la soudaine absence du plus grand père ;

Quand Aimé Césaire disparut, nous parlâmes de certain Cahier, de nos vieilles intimités, de nos amours secrètes ;

Quand Aimé Césaire disparut, à haute voix je lisais Césaire à ma mère, émue de tant de souffrances portées par l’insolente dignité d’une plume rêche
revêche
adroite

Quand Aimé Césaire disparut, je dus prendre visa pour visiter sa tombe ;

Quand Aimé Césaire disparut, tressaillaient en moi des bourdons d’hommage, des envies d’aube ;

Quand Aimé Césaire disparut, je sus qu’il n’y a que nous-même qui saurions nous occuper de nous

Accoucheur d’esprits libres

Faiseur de tremblements

Homme-volcan
Homme-révolte
Homme-peine
Homme-combat
Homme-pierre
Homme-bataille
Homme-dur
Homme-brèche
Homme-laminaire
Antenne de douleurs
Diseur de lendemains
Dyali de l’Atlantique
Semeur de piment

CESAIRE

Tu allas te poser
Étoile dans le ciel
Tes épaules anoblies
Du drap revêche de la révolte
Ton sourire bienveillant
Témoin de tout l’Univers.

 

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