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L’alimentation en proie au marché

La production et la distribution alimentaire obéissent, tous deux, à la loi du marché. Cette réalité dans un domaine aussi crucial que l’alimentation montre les dangers d’un tel asservissement car le marché sacrifie sans coup férir toute considération sociale et environnementale sur l’autel de la rentabilité et de la libre entreprise.

La productivité de l’agriculture occidentale en général et européenne en particulier a, en un demi siècle, fait un bond gigantesque en s’appuyant sur les progrès techniques en matière de machines et d’engrais. Ce développement débridé a, dans un premier temps, apporté à l’Europe une sécurité alimentaire la mettant durablement à l’abri de périodes de disette. Mais elle a abouti, aujourd’hui, à une situation de sur-production aux conséquences sociales et environnementales catastrophiques, en Europe comme dans le monde; c’est d’autant plus vrai que cette sur-production s’inscrit dans une société occidentale de marché et de consommation, deux visions qui excluent toute réflexion éthique et responsable de la gestion des stocks alimentaires de l’Europe occidentale.

Des montagnes de déchets

Chaque jour Vienne jette et détruit suffisamment de pain pour nourrir la seconde ville du pays, Graz. La raison? Les coûts de production sont tellement bas qu’il est moins onéreux de jeter un pain vieux de deux jours que de trouver une solution pour l’écouler. C’est la triste loi du marché…

Une enquête de la BBC et du Guardian a relevé que, en 2005, les Anglais ont jeté pour 30 milliards d’euros d’aliments. Un chiffre énorme? A n’en pas douter et qui représente la part impressionnante de 30 à 40% de la nourriture achetée par ces mêmes Anglais. L’alimentation est traitée comme un bien parmi d’autres: on gaspille, on jette… mais que rien ne vienne brider notre désir de consommation!

Un cercle vicieux

Lorsqu’il ne finit pas dans nos poubelles, où va l’excédent de production alimentaire de nos pays? Inonder les vastes marchés du sud, africains notamment. Il est ainsi courant de trouver des fruits et légumes européens sur les étales des marchés des capitales africaines à des prix inférieurs à toute concurrence locale grâce à une agriculture européenne extrêmement productive et subventionnée pour l’exportation (cf. encadré). Face à cette concurrence inéquitable, les petits producteurs périclitent, ne pouvant plus vivre de la culture de leur propre terre, tombent dans la misère et n’arrivent plus, comble de l’ironie, à trouver de quoi manger. Certains d’entre eux se risquent à la traversée du détroit de Gibraltar afin de trouver un emploi en Europe. Ils sont beaucoup à échouer dans les gigantesques plantations fruitières du sud de l’Espagne, à travailler et à vivre dans des conditions inhumaines pour, ironie quand tu nous tiens, ces mêmes entreprises qui sont responsables de leur malheur.

Sortir l’alimentation du marché?

Tant que les produits alimentaires continueront à être perçus comme des produits parmi d’autres, l’intérêt du marché prédominera sur le droit des peuples à la sécurité alimentaire. Actuellement, en Suisse, la majeure partie de notre blé est importé d’Inde, un pays dont un enfant sur deux souffre de malnutrition. Le Brésil est le plus gros exportateur de soja au monde, alors que 10% de sa population est en état de sous-alimentation. Ce type d’exemples se multiplie et démontre la dangerosité d’un système alimentaire régi par les lois du marché. Il y a, de plus, un risque très clair que cette tendance s’aggrave. Les grandes entreprises agro-alimentaires, au premier rang desquelles Nestlé, militent pour une libéralisation complète de l’accès à l’eau en défendant mordicus qu’il ne s’agit que d’un produit parmi d’autres. Quant aux OGM, qu’est-ce, sinon un fantastique marché pour les entreprises de la bio-industrie?

Cette vision marchande est destructrice; il faut en changer. La production intensive actuelle est polluante, source de gaspillage et crée de formidables inégalités sociales. Il est erroné, en outre, de prétendre qu’elle est la seule forme de production à même de nourrir l’ensemble de la planète. La preuve? C’est simplement qu’elle ne le fait pas, quand bien même elle en aurait les moyens, selon les calculs de la FAO – l’organisme onusien en charge des problèmes d’alimentation -. Ce n’est pas en effet sa finalité. Sa finalité, c’est de dégager un profit et des variables telles que la sous-alimentation ou l’impact écologique n’entrent simplement pas dans l’équation. L’alternative passe, notamment, par le développement d’une agriculture biologique, prenant en compte les facteurs sociaux et environnementaux. Mais celle-ci ne doit pas se contenter de demeurer une niche éthique au milieu de la jungle du marché. La FAO a rappelé, récemment, que l’agriculture biologique peut largement réussir à nourrir la planète mais cela signifie un changement important de paradigme: (re)considérer, que nous soyons producteurs ou consommateurs, que l’aliment n’est pas une marchandise.

 

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