Six mois de massacre à Gaza

La rédaction •

Depuis six mois, Gaza est sous les bombes larguées quotidiennement par l’armée israélienne, au mépris du droit de la guerre, du droit international humanitaire et des conventions de Genève. Nous l’avions écrit en novembre, quelques semaines après les exactions commises par le Hamas, rien ne peut justifier pareille vengeance, et cette dernière aura pour seule conséquence de renforcer ce qu’elle prétend détruire.

Que la réponse israélienne soit confiée au gouvernement sans doute le plus à droite de l’histoire du pays laissait augurer le pire, mais la réalité de ce qui se passe dans la bande de Gaza depuis le début des hostilités dépasse de très loin ce à quoi nous avions assisté par le passé. Ce n’est pourtant pas la première fois que le pouvoir israélien inflige une punition collective aux Palestinien·ne·s, il l’a déjà fait à plusieurs reprises à Gaza, mais l’ampleur des bombardements, de la dévastation et des atteintes aux civil·e·s dépasse de très loin ce que les habitant·e·s avaient déjà expérimenté.

La liste des crimes de guerre commis par l’armée israélienne ne cesse de s’allonger et restera une marque d’infamie dans l’histoire d’Israël : assassinat indiscriminé de non-combattant·e·s, exactions des militaires israélien·ne·s,  journalistes ou personnel d’ONG locales ou internationales pris pour cibles, bombardement d’infrastructures et de bâtiments civils (écoles, hôpitaux, camps de réfugié·e·s). Par ailleurs, la création en cours, dénoncée par l’organisation B’Tselem, d’une « zone de sécurité » à l’intérieur de la bande de Gaza, dans laquelle tous les bâtiments de même que les zones agricoles seraient détruits, s’ajoute à ces crimes de guerre.

Coincée dans un territoire dont l’exiguïté a constamment été soulignée et qui ne dispose d’aucun accès au monde extérieur (les eaux sont contrôlées par Israël au-delà d’une vingtaine de kilomètres des côtes, l’aéroport a été détruit en 2002 et les points de passage avec Israël et l’Égypte sont à peu près infranchissables), la population gazaouie est tout entière en otage. C’est un enfermement imposé aussi bien par Israël et l’Égypte, qui ne veulent laisser sortir aucun·e Palestinien·ne, que par le Hamas, qui ne veut voir partir personne.

La destruction en cours de Gaza et les violences infligées à sa population depuis le début de la « riposte militaire » israélienne ne peuvent être analysée comme la seule continuation d’un conflit vieux de 75 ans, porté cette fois-ci à un degré un peu plus intense. Le mois d’octobre 2023 marque un basculement du conflit dont les conséquences n’ont pas fini de se faire sentir pour toute la région. Il faut également dire aussi clairement que possible que pour un État comme Israël, le mépris actuellement affiché à l’égard du droit international est proprement suicidaire, car il ne fait reposer sa propre existence que sur la force.

L’ampleur des massacres commis par le Hamas le 7 octobre a suscité de la part du gouvernement d’extrême droite israélien une réaction militaire totalement disproportionnée. L’organisation islamiste les a toutefois commis sciemment, jetant en pâture la population civile de Gaza à la vindicte d’un gouvernement, d’une armée et de soldat·e·s assoiffé·e·s de vengeance, sachant très bien que c’était la meilleure manière de conserver son pouvoir sur la bande de Gaza, et peut-être demain sur l’ensemble de la Palestine. Depuis le premier jour, le gouvernement de Netanyahou, fidèle allié objectif du Hamas comme il l’a toujours été, ajoute du carburant aux causes qui ont fabriqué ce mouvement et le maintiennent en vie.

Comment imposer la paix ?

La poursuite des hostilités aurait plusieurs conséquences. Elle signifierait évidemment de nouvelles pertes civiles dans la bande de Gaza, et peut-être également la mort des otages encore retenu·e·s par le Hamas. À un autre niveau, elle conduirait à la perte du résidu de crédit dont jouit encore le pouvoir israélien sur la scène internationale.

Pour mettre fin durablement à ces violences, la relance d’un processus de paix sérieux s’impose. Compte tenu des positions défendues d’une part par Netanyahou et son gouvernement, et par le Hamas d’autre part, tout le monde sait pertinemment qu’un tel processus ne peut être envisagé sérieusement qu’en leur absence. Netanyahou restera, par-delà ses avanies personnelles et la corruption qui a marqué toute sa carrière politique, comme le fossoyeur le plus acharné et méthodique d’un processus de paix entre Israélien·ne·s et Palestinien·ne·s. C’est un homme profondément méprisable qui doit être traduit en justice (ce qu’il sait, raison pour laquelle il a la pire raison qui soit de prolonger la guerre en cours). Cependant, pas davantage que l’extrême droite israélienne, le Hamas ne peut être considéré comme un interlocuteur sérieux lorsqu’il s’agit de parler de paix.

Dans les conditions actuelles, il semble de plus en plus évident que la paix devra être imposée de l’extérieur, si possible par une coalition de puissances disposant des moyens d’agir en lieu et place du gouvernement israélien. La seule alternative, que l’on voit mal se concrétiser à court terme, serait un soulèvement populaire des Israélien·ne·s qui déposerait l’équipe criminelle qui se trouve actuellement à la tête du pays pour la remplacer par des personnes désireuses de trouver un accord de paix durable avec les Palestinien·ne·s, et qui enrayerait en même temps la dynamique fascisante dans laquelle est actuellement embarquée la société israélienne, constamment alimentée par les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ces dernières années.

Le gouvernement israélien ne veut pas d’un cessez-le-feu

Le 25 mars, le Conseil de sécurité des Nations Unies a enfin adopté une première résolution appelant à un cessez-le-feu dans le conflit en cours, grâce à l’abstention des États-Unis, visiblement excédés par le comportement de leur allié. L’espoir que ce texte minimal puisse désormais être mis en œuvre ne repose pas sur le gouvernement israélien, qui l’a ostensiblement rejeté, mais sur la pression de la communauté internationale.

La première urgence serait d’arrêter d’alimenter la machine de guerre israélienne, en lui refusant les livraisons d’armes dont elle a absolument besoin pour continuer ses bombardements sur Gaza. L’administration Biden serait d’ailleurs bien inspirée de prendre très rapidement cette décision si elle espère avoir quelques chances d’être reconduite lors des élections de novembre. Le temps est venu d’assurer la sécurité de la population israélienne en cessant de suivre la stratégie mortifère poursuivie par son gouvernement, ce même gouvernement qui s’est de toute manière montré d’une insondable incompétence lorsqu’il aurait fallu empêcher les attentats du 7 octobre, dont il avait été informé, d’être commis. Par son acharnement, par les violences infligées en continu aux habitant·e·s de la bande de Gaza, par son unique obsession de rester au pouvoir, il représente aujourd’hui l’un des pires dangers pour la population israélienne elle-même.

Quelle responsabilité pour la gauche ?

Dès le premier jour du conflit, les réflexes politiques hélas les plus fréquents ont été de se positionner du côté de l’un ou l’autre des deux nationalismes en lutte, affichant soit un soutien sans nuance ni critique à la réponse du gouvernement et de l’armée israélienne, soit une approbation aussi inconditionnelle au Hamas et à son mode opératoire pour ses actes de « résistance ». De cet affrontement, les opprimé·e·s n’ont aucune chance de sortir victorieuses·eux, ou même de voir leurs souffrances amoindries.

Ce n’est pas la position que nous avons adoptée, abasourdi·e·s à la fois par la violence indiscriminée du Hamas et par une réaction israélienne totalement excessive. Les un·e·s comme les autres ne cherchent ni la sécurité des populations, ni le rétablissement de la paix, ni la justice et l’égalité, mais uniquement la continuation de leur propre pouvoir, fût-ce au prix de dizaines de milliers de morts civiles. De part et d’autre les censures et les dénonciations se sont multipliées, si bien qu’une position attachée à l’émancipation des peuples est devenue très largement inaudible. C’est pourtant la position des organisations qui œuvrent sur place à la reprise d’un dialogue entre les deux peuples, et elles ont aujourd’hui plus que jamais besoin de notre solidarité. Le gouvernement Netanyahou et le Hamas sont des obstacles absolus à une telle émancipation des Palestinien·ne·s et des Israélien·ne·s, et toute sortie de la catastrophe en cours, une fois un cessez-le-feu durable signé, ne pourra se faire qu’en les écartant des futures négociations qui pourraient aboutir à une paix durable dans la région. Il n’est hélas pas certain que ce soit l’issue la plus probable.

Article publié, dans une version très légèrement raccourcie, dans Pages de gauche no 191 (printemps 2024).

Lors des précédentes guerres ayant déjà dévasté Gaza, Pages de gauche a publié plusieurs articles sur le sujet, auxquels nous renvoyons:

antoine_chollet