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La pauvreté suisse à travers les chiffres

Selon les statistiques officielles, près de 240’000 personnes dont un tiers d’enfants ont touché l’aide sociale en Suisse en 2005. Plus globalement, le taux de pauvreté de la classe d’âge allant de 20 à 59 ans atteint presque 380’000 personnes.

Il y a des réalités sociales que l’on croyait définitivement appartenir au passé dans notre pays. La pauvreté en fait partie. Ainsi, alors que lors de la grande crise économique des années 1930 environ un cinquième de la population suisse dépendait de l’aide publique distribuée aux pauvres, ce phénomène disparaît presque complètement pendant les décennies qui suivent la Deuxième Guerre mondiale. A partir de la crise économique des années 1990, la donne change. Le nombre de personnes à l’aide sociale recommence à grimper et la population concernée est plus hétéroclite. On compte parmi les bénéficiaires de l’aide sociale des familles monoparentales – avant tout des femmes -, des couples avec enfants aux salaires insuffisants, des personnes toxico-dépendantes «transférées» par l’assurance-invalidité, des jeunes adultes en difficulté sans formation professionnelle aboutie, des migrant-e-s avec des difficultés d’intégration sur le marché du travail ou encore des chômeurs en fin de droit.

Compter les pauvres: aide sociale

La pauvreté est redevenue un enjeu majeur des politiques sociales suisses comme le montre la récente mise à disposition de statistiques nationales à ce sujet. Ainsi, en mai 2006 et juin 2007, paraissent les toutes premières publications élaborées par l’Office fédéral de la statistique (OFS) consacrées à l’aide sociale pour les années 2004 et 2005. En 2005, ces statistiques comptent 240’000 personnes, soit 3,3% de la population résidante, ayant touché l’aide sociale, dont 70’000 enfants et 30’000 jeunes adultes entre 18 et 25 ans.

L’inégalité face à la pauvreté se manifeste à plusieurs niveaux. En ce qui concerne les familles monoparentales, 16% d’entre elles ont eu recours à l’aide sociale en 2005. Ce taux dépasse même les 20% pour celles ayant trois enfants ou plus. Phénomène tristement connu, le risque pour une femme de se retrouver à l’aide sociale, notamment après un divorce, est très important. Ainsi, selon l’OFS, la probabilité qu’une femme divorcée doive se tourner vers l’aide sociale est deux à trois fois supérieure à celle pour un homme. Autre facteur d’inégalité: le niveau de formation. 70% des jeunes adultes entre 18 et 25 ans bénéficiant de l’aide sociale n’ont par exemple pas de formation professionnelle achevée.

Enfin, un dernier facteur porte sur la répartition géographique. D’une part, tandis que le taux d’aide sociale dans les grandes villes de plus de 100’000 habitant-e-s dépasse les 6%, il est plus de six fois moins élevé dans les petites communes de moins de 2000 habitant-e-s. D’autre part, les différences entre les cantons sont aussi considérables. Alors que dans le canton de Nidwald seulement 1,1% de la population est à l’aide sociale, à Bâle-Ville ce taux est de 6,4%. Quant aux cantons romands, les trois cantons les plus urbains et industrialisés – Genève (4,2%), Vaud (4,6%) et Neuchâtel (5,4%) – se trouvent parmi les régions les plus concernées, contrairement au Jura et au Valais.

Compter les pauvres: travailleurs/euses

L’aide sociale donne une première base à l’évaluation de la pauvreté en Suisse. Cependant, en tenant compte des ménages dont la faiblesse de revenu donnerait droit à cette aide mais qui refusent d’y recourir, la réalité change. Pour les personnes âgées entre 20 et 59 ans, l’OFS travaille avec la notion de «seuil statistique de pauvreté», composé du loyer, des primes d’assurance-maladie et du forfait d’entretien du ménage. Il s’agit du minimum social d’existence reconnu par les normes de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS): cela représente, pour une personne seule, 2’200.- par mois, pour une famille monoparentale avec deux enfants, 3’800.-. Ce seuil atteint 4’650.- pour une famille bi-parentale avec deux enfants. Sur cette base, l’OFS évalue le taux de pauvreté de la population totale âgée entre 20 et 59 ans à 9% en 2006. 380’000 personnes (430’000 en intégrant la classe d’âge des 60 ans à 65 ans) auraient été concernées. En comparant ce chiffre avec les 170’000 adultes à l’aide sociale, on constate que 200’000 personnes supplémentaires à celles recensées auraient potentiellement droit à cette aide. Ce chiffre correspond d’assez près à une estimation selon laquelle environ 50% des ayant-droits potentiels à l’aide sociale n’y recourent pas.

Compter les pauvres: Caritas

De son côté, Caritas a avancé le chiffre d’un million de pauvres vivant aujourd’hui en Suisse sans réussir à couvrir le minimum social d’existence à défaut d’une aide publique. Il est d’une part composé de 250’000 enfants vivant dans des ménages pauvres (bénéficiaires de l’aide sociale et «working poor» sans aide sociale) et de presque 200’000 personnes à la retraite au seul bénéfice de l’AVS, qui ne permet pas de garantir à elle seule une retraite digne. S’y ajoutent environ 600’000 personnes pauvres en âge de travailler. Ce dernier chiffre est sujet à discussion car basé sur des seuils de pauvreté plus élevés que ceux utilisés dans la dernière publication de l’OFS évoquée plus haut. Toujours est-il que, même en se basant sur ces chiffres-là, le nombre de personnes considérées comme pauvres atteint près de 900’000 ou 12% de l’ensemble des habitant-e-s de notre pays.

Pour en savoir plus

– La statistique suisse de l’aide sociale 2005. Résultats nationaux, Neuchâtel: Office fédéral de la statistique (OFS), juin 2007.

– La pauvreté des personnes en âge de travailler, Neuchâtel: OFS, mars 2007.

– Facteurs de risque des jeunes femmes à l’aide sociale, Neuchâtel: OFS, 2007.

– Christin Kehrli, Carlo Knöpfel, Manuel sur la pauvreté en Suisse, Lucerne: Caritas, 2007.

– Jonathan Rochat, Lausanne en mouvement. Une ville à l’écoute de ses exclus, Paris: Editions Autrement, 2005.

 

 

 

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