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Histoire d’une notion venue d’en haut

La notion de responsabilité sociale des entreprises est une réponse à l’illégitimité grandissante du système capitaliste. Son institutionnalisation en est une preuve de plus.

Pour rendre compte de l’émergence de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), il est important de retracer en quelques étapes son évolution. Il apparaît que la RSE est une réponse relativement récente des élites politiques et économiques face à l’illégitimité grandissante du système capitaliste. En effet, si les luttes collectives pour de meilleures conditions de travail, contre la destruction de l’environnement et la mise en danger des conditions de vie par les entreprises ont toujours existé, tel n’a pas été le cas de la RSE.

Comment éviter des normes contraignantes

Les années 1980 ont vu l’apparition de mouvements protestataires qui, pour atteindre des objectifs politiques, ont ciblé des intérêts économiques en organisant des actions de boycott (par exemple contre les banques suisses dans le cadre de la lutte anti-apartheid). Ces actions visaient à dénoncer les entreprises et à les forcer à prendre publiquement position. Les politiques de déréglementation et de privatisation des années 1980 qui ont accompagné la mondialisation néolibérale ont accru les pouvoirs des multinationales: afin d’éviter une contestation plus importante du système, il devenait important de chercher à définir des nouvelles normes non contraignantes. Il est en effet moins "dangereux" de discuter de certaines pratiques que de remettre en cause les conditions mêmes d’existence de la propriété privée des moyens de production et des causes de l’exploitation.

Dans les années 1990, les entreprises collaborent avec les omniprésentes ONG du Nord (Greenpeace, WWF, Oxfam, ou encore Amnesty International) et promeuvent codes de conduite, chartes d’entreprise et labels. L’action contre les "sweatshops" ("ateliers de la sueur"), où étaient produits en sous-traitance la plupart des habits vendus par les multinationales du textile, est emblématique de cette période. Face à ces enjeux, les ONG ont trouvé un nouvel espace d’action; leurs structures et l’étendue de leurs réseaux leur ont permis d’utiliser la RSE et de mener plusieurs campagnes. Désormais, les entreprises ont intégré dans leurs discours le fait qu’elles doivent inclure les parties prenantes ("stakeholders") et non plus seulement les actionnaires («shareholders»).

Institutionnalisation de la RSE

À partir des années 2000, la RSE est institutionnalisée tant au niveau national que supranational. Au Royaume-Uni, Tony Blair a créé un nouveau ministère de la RSE (pour mieux le dissoudre en 2002). De plus, une loi oblige les fonds de pension à intégrer les dimensions sociales et environnementales dans leur politique d’investissement; les entreprises françaises cotées en bourse doivent, selon la loi sur les «nouvelles régulations économiques» de 2001, publier des indications sociales et environnementales; selon une loi de 2002, les entreprises belges ont la possibilité de demander un label social public pour un ou plusieurs de leurs produits. La Commission européenne est aussi de la partie et a publié en 2001 un "Livre vert" sur la RSE, ce qui représente un premier pas vers un développement législatif au niveau européen. L’ONU et ses agences, l’OIT et l’OCDE ont également entrepris des démarches visant à promouvoir et à encadrer la RSE, consacrant encore plus cette notion comme un indépassable horizon. Il serait encore possible de citer quantités d’autres initiatives de ce genre. Toutefois, cet accroissement exponentiel d’initiatives liées à la RSE est à mettre en parallèle avec la croissance non moins constante des inégalités au niveau mondial.

 

 

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