Antoine Chollet •
La droite semble être à nouveau à l’offensive sur les questions de fiscalité. Comme d’habitude, plutôt que d’attaquer directement les prestations qu’elle souhaiterait soit supprimer, soit confier à des entreprises privées, elle assèche dans un premier temps les caisses publiques, pour pouvoir ensuite justifier des coupes douloureuses au prétexte du sacro-saint équilibre budgétaire (et c’est encore mieux si ce dernier, absurdité politique et économique ultime, n’a pas carrément été constitutionnalisé, comme c’est notamment le cas dans le canton de Vaud).
Défaite genevoise
Le 24 novembre 2024, une importante baisse de l’impôt sur le revenu a été acceptée à Genève, par plus de 60% des voix. Soutenue par toute la droite et par le Conseil d’État, cette décision fera perdre chaque année plus de 320 millions de francs au canton (soit environ 3% de ses recettes) et plus de 100 millions de francs aux communes, selon les estimations du Conseil d’État.
Prétextant des comptes excédentaires, le projet prétendait améliorer le « pouvoir d’achat » de la « classe moyenne », argument triplement mensonger mais qui a visiblement séduit. Il est mensonger quant au « pouvoir d’achat », car ce que l’on économise sur sa facture fiscale va forcément devoir être payé autrement, compte tenu des réductions des prestations publiques qui suivront nécessairement.
Une baisse fiscale n’est individuellement rentable qu’à partir d’un niveau de revenu élevé. Cela ne concerne donc qu’une toute petite partie de la population. Pour l’écrasante majorité des gens, les impôts représentent une mutualisation des dépenses qui permet au contraire de faire des économies substantielles. Il suffit de voir le coût d’une année scolaire dans l’enseignement privé pour s’en rendre compte.
Il faut vraiment insister sur le fait que cette attaque contre les services publics constitue le but fondamental que poursuit la droite, qui se contrefout totalement du « pouvoir d’achat » de la population, comme elle le montre d’ailleurs avec une grande constance lorsqu’elle refuse les mesures permettant d’augmenter les salaires (ou même de les indexer).
Le mensonge porte aussi sur la « classe moyenne », car sa définition semble singulièrement extensive dans l’esprit de la droite. Les baisses fiscales maximales concernaient en effet les contribuables déclarant un revenu allant presque jusqu’à 200’000 frs, ce qui couvre près des 95% des contribuables. Pour les 5% déclarant davantage, des baisses substantielles, quoique moins élevées, ont également été concédées. L’invocation rituelle de la « classe moyenne » n’est donc qu’une farce puisque les économies les plus importantes ont évidemment été réservées aux plus riches. Les quelque 400 contribuables déclarant plus de 2 millions de francs de revenus verront ainsi leur facture fiscale allégée de 75’000 frs en moyenne…
Le troisième mensonge concerne les comptes excédentaires, en réalité provoqués par des prévisions budgétaires systématiquement et volontairement pessimistes qui contractent artificiellement les dépenses lors des débats parlementaires alors qu’une anticipation plus sérieuse des recettes permettrait une meilleure gestion des finances publiques.
Les dégâts de l’ère Broulis
Jamais à court de mauvaises idées, la droite vaudoise suit l’exemple genevois en ne faisant pas preuve d’une très grande inventivité dans ses slogans et arguments, qui ne sont que de vulgaires copies de ceux de son homologue du bout du lac. Elle a d’une part, par l’entremise des organisations patronales, lancé une initiative demandant une baisse linéaire de 12% de l’impôt cantonal. Son coût avoisinerait les 550 millions de francs par an (représentant 4,6% des recettes de l’État). Lors du débat budgétaire du mois de décembre, ses élu·e·s au Grand Conseil ont d’autre part accepté (avec l’aide inespérée d’une partie des député·e·s du PSV…) une proposition de l’UDC demandant, parallèlement, une baisse fiscale de 7%, dont le coût final se montera à plusieurs centaines de millions de francs par an. Le PLR et le Conseil d’État sont, officiellement en tout cas, opposés à l’initiative ; l’UDC la soutient, sa proposition acceptée par le Grand Conseil lui permettant évidemment d’aborder la campagne dans une position de force.
Si la configuration est un peu différente qu’à Genève, les mêmes arguments ineptes sont utilisés pour défendre l’initiative et ce qui est présenté, moyennant quelques contorsions, comme un contre-projet indirect. La droite et le Conseil d’État prétendent aussi se soucier du « pouvoir d’achat » de la « classe moyenne », et prennent également prétexte d’excédents budgétaires pour lancer leur attaque contre les services publics. Comme à Genève, l’argument est triplement mensonger, pour les mêmes raisons que celles évoquées plus haut. Renonçant aux pudeurs de sa consœur du bout du lac, la droite vaudoise n’a pas même plafonné la baisse fiscale, assumant donc clairement qu’elle s’intéresse prioritairement aux contribuables les plus aisé·e·s.
Pour respecter les délais, l’initiative aurait dû être soumise au corps civique avant la fin du mois d’avril, ce qui supposait d’organiser un scrutin cantonal en dehors des dates prévues pour les votations fédérales. Pour des raisons d’organisation, la date la plus favorable semblait donc être le 18 mai, mais un recours du patronat contre un des éléments votés par le Grand Conseil, à savoir le fait qu’une acceptation de l’initiative ferait tomber le « bouclier fiscal » plafonnant la taxation par rapport au revenu, risque de renvoyer le vote à l’automne.
La campagne contre l’argumentaire de la droite et du Conseil d’État ne sera menée que par la gauche et par les syndicats de la fonction publique, dont les membres sont directement concerné·e·s par les catastrophes à venir, que l’initiative passe ou pas. Cette campagne devra s’efforcer de rappeler que les impôts ne sont pas de l’argent jeté par les fenêtres, mais qu’ils permettent de décider démocratiquement des services publics que la collectivité souhaite financer, au bénéfice du plus grand nombre. Elle sera compliquée par le fait que certaines des forces politiques prétendant faire campagne contre l’initiative reprendront en réalité l’intégralité des arguments en sa faveur.
Cet article est paru, dans une version raccourcie, dans Pages de gauche no 194 (hiver 2024-2025).