Le 18 et 19 juin 2013 devait se tenir à Athènes la conférence pour lancer le Global Labour Institute (GLI), ou Institut Mondial du Travail, en Grèce. Les GLIs, dont le premier fut fondé à Genève en 1997, sont des organisations de militants syndicaux et socialistes, mais aussi post-trotskistes et anarcho-syndicalistes, qui travaillent à rendre le mouvement syndical apte à affronter la guerre que la droite néo-libérale est en train de lui faire. Ils forment ensemble un réseau international, pour l’heure entre Genève, Manchester, New York et Moscou. Une première université d’été des GLIs, près de Manchester l’année dernière, a rassemblé 84 participants de 26 pays, pour la plupart de jeunes syndicalistes.
Les participants grecs, de Syriza, la coalition socialiste de gauche, veulent rejoindre ce réseau. La conférence d’Athènes (« Combattre l’Austérité, Reconstruire le Syndicalisme par en bas »), sur invitation de Syriza, s’est tenue avec des camarades anglais, bulgares, de l’UITA et moi-même pour le GLI de Genève, mais pas dans l’ordre prévu. Le premier jour, au lieu de nous réunir en conférence, nous avons rejoint les salariés de la télévision publique ERT, qui occupent les locaux depuis que le gouvernement a décidé de la fermer du jour au lendemain et de les congédier, et qui continuent à émettre par internet. Ambiance très soixante-huitarde, tous les groupuscules de la gauche radicale représentés par leurs affiches et leurs militants, de nombreux citoyens, de tous les âges et milieux sociaux, outrés par le coup de force du gouvernement, venus apporter leur soutien au mouvement d’occupation. Nos interventions, de solidarité et d’encouragement, sont retransmis à 42,000 auditeurs par un canal improvisé.
Le lendemain, la conférence a lieu à Saronikos, une municipalité proche d’Athènes, gouvernée par Syriza. L’auditoire de la mairie est rempli à bloc, 500 personnes à peu près. Parmi les intervenants, une syndicaliste qui dénonce la rigidité bureaucratique des organisations syndicales, le maire de Keratea, une municipalité voisine, également de Syriza, raconte la résistance de sa ville contre le projet du gouvernement de créer une gigantesque décharge publique qui aurait détruit un environnement naturel et des sites archéologiques protégés. Les citoyens de Keratea étaient en état d’insurrection pendant des mois, livrant des batailles rangées contre la police anti-émeutes, et ils ont gagné: les forces de police ont été retirées, le gouvernement a abandonné son projet. Une jeune femme présente les Industrial Workers of the World (IWW), syndicat révolutionnaire fondé aux Etats-Unis en 1905, avec des sections dans différents pays dont, je l’apprends avec étonnement, la Grèce.
Aléxis Tsípras, président de Syriza, arrive, prend sa place dans la première rangée. On me demande de refaire mon discours de la veille devant la télévision. Je leur dis: Camarades, votre pays est petit, comme le mien, et vous avez 150 syndicats, c’est beaucoup trop. Cela fait trop de secrétaires généraux. Tant que cette structure domine, votre mouvement syndical ne peut être le moyen par lequel la classe ourière arrivera à se soulever. Et je leur dis encore: Ne cherchez pas d’inspiration ou des exemples dans le mouvement syndical européen. Ils n’ont rien à vous apprendre, sauf comment organiser la retraite. Fiez-vous à vos expériences et à votre imagination et ne reculez pas devant des solutions radicales: dans notre situation, les solutions radicales sont les solutions réalistes. Un seul grand syndicat interprofessionnel pour tous les travailleurs grecs, démocratiquement contrôlé par sa base, est-il imaginable? Et enfin: nous reconnaissons en vous, camarades de Syriza, l’énergie démocratique et révolutionnaire dont notre mouvement a le plus besoin aujourd’hui. Nous sommes ici pour manifester notre solidarité et nous resterons ensemble jusqu’au jour où toutes les batailles auront été gagnées.
Tsípras prend la parole. Il est jeune (39 ans), charismatique mais totalement exempt de démagogie, aucune gestuelle autoritaire, aucune trace de la bouffonnerie des caudillos dont une partie de la gauche est si éprise. Il explique, calmement, parfois avec humour, comme s’il donnait un cours. Le public écoute avec une attention concentrée, dans un silence total, quelques rires, deux ou trois brèves interruptions pour applaudir.
Tsípras dénonce l’autoritarisme croissant du gouvernement, autoritarisme d’un gouvernement faible voué à l’échec, évitant par tous les moyens de nouvelles élections pour repousser l’échéance de la catastrophe qui l’attend. Sur le syndicalisme, il abonde dans notre sens: Syriza fera tout pour libérer les travailleurs grecs des entraves bureaucratiques qui les empêchent de manifester leur puissance.
La réunion prend fin, Tsípras me rejoint à la sortie, me donne une poignée avec sa grosse main, me dit « wonderful speech » avec un grand sourire, et disparaît avec sa garde rapprochée. Le GLI grec est lancé.