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Raymond Durous, Nus parmi les chacals

Antoine Chollet •

Raymond Durous, qui est membre du Comité de Pages de gauche depuis quelques années, a publié un nouveau livre ce printemps : Nus parmi les chacals. Il y traite des enfants maltraités, opprimés, battus ou tués dans le monde et relève que, si les droits fondamentaux sont trop souvent bafoués, ils le sont plus encore à l’encontre des enfants. Au travers d’une série de chapitres courts traitant chacun d’un type d’oppression particulier – la xénophobie, la pauvreté, le travail, la malnutrition, etc. – et s’appuyant le plus souvent sur des témoignages variés issus tout aussi bien des rencontres de l’auteur, de sa propre vie, de films, de chansons ou de romans, ce livre, qui manifestement habitait Raymond Durous depuis longtemps, dresse un sombre tableau des cruautés dont sont victimes les enfants partout dans le monde.

Un seul de ces petits chapitres se distingue des autres par sa longueur, et donne sans doute une clef de lecture de ce livre. Il s’agit des pages que Raymond Durous consacre à son père, Victor, sur lequel il avait déjà écrit un livre il y a quelques années (Victor le conquérant, Éditions de l’Aire, 2005). Jeune immigré italien, celui-ci est envoyé à huit ans comme garçon de ferme à Sullens, dans la campagne vaudoise. Dans une famille « digne des Thénardier », il va vivre un véritable martyre. Dans des lignes sobres et fortes, Raymond Durous nous rappelle ce qu’était la vie de quantité d’enfants au début du XXe siècle (l’histoire se passe en 1918) en Suisse, faite de privations, d’humiliations et de conditions de vie désastreuses. La nourriture avariée, les ouvriers agricoles logés dans des taudis sans toilettes ni chauffage, l’absence complète de repos, voilà qui constituait l’ordinaire de ces esclaves modernes. Il décrit notamment les jambes de son père âgé, arquées par les sacs de blé de cent kilos qu’il a dû porter dans son adolescence.

Ce réquisitoire sans appel contre les violences de tous ordres infligées aux enfants est important, mais nous devons avouer à son égard deux réserves, qui sont moins des critiques que des éléments de discussion. Raymond Durous réactive une figure fréquente, considérant que les enfants sont des « innocents », figure biblique autant que pénale d’ailleurs. À trop le répéter, on pourrait aboutir à la conclusion que les autres ne le sont pas, et que le massacre d’une population adulte serait d’une certaine manière moins grave que le meurtre d’enfants. On ne rencontre pas cette distinction absurde dans Nus parmi les chacals bien sûr, mais l’insistance mise sur la notion d’innocence n’interdit pas complètement de le lire ainsi. La seconde réserve, peut-être liée à la première d’ailleurs, concerne la place insuffisante accordée à la capacité d’action autonome des enfants. On ne le répètera jamais assez, une victime n’est plus vraiment considérée comme un acteur politique à part entière, et le genre de projet politique qui accompagne la protection d’êtres considérés comme intrinsèquement vulnérables peut facilement tourner à la négation pure et simple de leur liberté et de leur autonomie. Ici encore, ce n’est pas ce que l’on trouve dans ce livre, mais les enfants y sont néanmoins présentés avant tout comme des victimes.

Le cri du cœur de Raymond Durous s’accompagne bien évidemment d’une intention politique forte, celle de condamner les cruautés commises envers les enfants et d’enjoindre ses lecteurs et lectrices à agir pour les faire reculer là où ils et elles le peuvent. Les récentes catastrophes industrielles au Bangladesh, dans lesquelles de nombreux enfants ont péri, nous ont rappelé que nous partagions cette responsabilité. Laissons donc la conclusion à l’auteur : « Le pire peut se produire à nouveau. Il faut être vigilants, faire reculer la barbarie, faire passer la vie des hommes, et tout particulièrement des enfants, avant tout » (p. 142).

 

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