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Côte d’Ivoire: «Les élections ne régleront pas tout»

Entretien avec Henri-Michel Yéré, historien ivoirien basé à l’Université de Bâle.

Pages de Gauche: La situation semble confuse en Côte d’Ivoire actuellement. Pourriez-vous nous la décrire succinctement?

Henri-Michel Yéré: On peut prendre les accords de Ouagadougou (mars 2007) comme point de départ. Le chef de la rébellion, Guillaume Soro, est devenu alors Premier Ministre d’un gouvernement d’union nationale, alors que le président restait Laurent Gbagbo. Ce gouvernement avait comme but de désarmer les forces rebelles, de réunifier les forces armées, de préparer les élections en procédant notamment à l’identification et au recensement des électeurs. C’est une tâche compliquée.

Le processus a pris du retard, notamment l’identification. Les parties s’accusaient de fraude. Au niveau de l’intégration des ex-forces rebelles, cela s’est fait avec des grincements de dents. En effet, beaucoup de rebelles ont réintégré l’armée nationale avec des grades plus élevés qu’auparavant.

Tous ces retards ont eu comme conséquence que l’élection présidentielle prévue au 30 novembre 2008 a été reportée. Aucune nouvelle date n’a encore été communiquée.

Il transparaît que la Côte d’Ivoire a une riche histoire électorale. Est-il possible d’y distinguer plusieurs périodes?

En effet, en Côte d’Ivoire, on vote régulièrement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. La première période commence à cette époque. Avant même l’élection des premiers députés Félix Houphouet-Boigny, Ouezzin Coulibaly et Zinda Kaboret, au Parlement français en 1946, il y avait des élections au niveau communal ou de la colonie.

C’est la période où le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) est créé, ainsi que d’autres partis et mouvements politiques. Les enjeux étaient de représenter la colonie à Paris mais aussi à l’intérieur du pays. Cette phase se termine en 1957, puisque les élections consacrent la victoire absolue du PDCI à tous les scrutins. A ce moment, le PDCI absorbe les autres partis et devient le «parti unique». A noter que la constitution garantissait le multipartisme, mais dans les faits, il n’existait pas. Tous les cinq ans, il y avait des élections, y compris des élections présidentielles, mais sans surprise. Dès 1980, il est jugé nécessaire d’introduire une mesure de «démocratie» comme on disait à l’époque. Le système de liste unique a été abandonné afin de permettre aux cadres de chaque région de se présenter, sous l’égide du PDCI. Le pluralisme existait au niveau des personnalités plus que de l’idéologie.

Le retour au vrai multipartisme date du 30 avril 1990. Pour la première fois, Houphouet-Boigny a un opposant en la personne de Laurent Gbagbo. Le premier remporte l’élection avec 81% des voix. Cette période dure jusqu’à la fin du régime PDCI, marqué par le coup d’état militaire du 24 décembre 1999 qui a mis au pouvoir Robert Gueï. Ce coup d’état a été suivi par une élection présidentielle en 2000, que Gbagbo, pourtant déclaré vainqueur, a jugé «calamiteuse».
 
Comment analyser l’élection en 2000 de Laurent Gbagbo à la présidence?

L’élection de Gbagbo répond à de nombreux facteurs. D’abord, c’est l’arrivée au pouvoir d’un homme politique qui fait partie du paysage depuis longtemps, lorsqu’il était dangereux de s’opposer à Houphouet-Boigny. Son arrivée au pouvoir a ouvert une nouvelle ère politique puisque c’était la première fois que le PDCI perdait la présidence – en l’occurrence au profit du Front populaire ivoirien (FPI). Quant à la nature du fonctionnement de l’économie, il n’y a pas eu de changement fondamental. Peut-être que l’exploitation du pétrole a donné un nouveau souffle aux potentialités économiques. Le mandat de Gbagbo est surtout marqué par le conflit qui a divisé le pays en deux. Mais il est aussi celui qui, pour beaucoup, a sauvé l’unité du pays en ayant tenu ferme devant la rébellion. Mais pour d’autres, il constitue une partie du problème, à la base de la frustration qui a fait naître une rébellion contre l’Etat ivoirien. Mais à tous points de vue, son accession à la présidence revêt un caractère historique.

Certains ont alors parlé de seconde indépendance?

Le terme de la seconde indépendance est venu un peu après. Il est plutôt apparu à l’époque où le conflit ivoirien a atteint un paroxysme avec la France. Le rôle de la France n’a jamais été clair dans le conflit. En 2004 surtout, il y a eu des incidents majeurs entre les deux pays. Les forces françaises intervenues en tant que force de maintien de la paix se sont retrouvées bombardées à Bouaké. A Abidjan, la riposte française a débouché sur la mort d’une soixantaine d’Ivoiriens. C’est la mobilisation autour de ces événements qui a fait qu’on a parlé de seconde indépendance. Il y a eu un sentiment de néocolonialisme et c’était comme si le FPI avait puisé dans sa tradition de discours anti-impérialiste pour s’en resservir au moment opportun et prendre la France la main dans le sac.

Les Ivoiriens avaient le sentiment de s’émanciper de la tutelle française. Symboliquement c’était important, même si dans les faits rien ne s’est passé; il y a toujours un camp militaire français à Abidjan et les grandes entreprises françaises sont toujours bien représentées.

Pensez-vous que les élections en 2009 régleront une partie des problèmes?

Les élections régleront le partage du pouvoir. On saura qui vaut quoi sur l’échiquier politique. Il n’y a jamais eu d’élection présidentielle réunissant tous les grands partis représentés par leur leader.
Mais les élections ne règleront pas tout, dont le manque de confiance entre les partenaires politiques et entre les gens. On a besoin d’un sursaut de maturité des hommes politiques. Si Gbagbo, Ouattara et Bédié (ndlr: les trois principaux leaders) sont des personnalités respectées et expérimentées, la peur existe que cela s’envenime afin de servir des intérêts personnels immédiats. Avec les élections, on a toujours la crainte, quoi qu’on en dise, de voir un scénario à la kenyane (ndlr: les élections générales au Kenya en 2007 et 2008 se sont déroulées dans la confusion et la violence) ou ce qui s’est passé en octobre 2000 en Côte d’Ivoire se reproduire.

Propos recueillis par Mathieu Gasparini

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