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Aux côtés de la première présidente du Liberia

Robtel Neajai Pailey travaille actuellement comme assistante spéciale à la communication de la Présidente de la République du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf. Elle témoigne ici des changements ressentis suite à cette élection.

Quand j’étais plus jeune, j’étais convaincue qu’un jour, je deviendrais la première femme présidente du Liberia. J’ai toujours eu des liens proches avec ce pays d’Afrique de l’Ouest quitté à l’âge de six ans, une année avant le début de la terrible guerre civile. Pendant ce temps, le Liberia a toujours vécu en moi. Ainsi, des années plus tard, la question du retour, afin d’aider à la reconstruction du pays, s’est posée à moi.

J’étais persuadée que mes qualités me permettraient d’infiltrer le réseau quasi-exclusivement masculin de la politique africaine, voire mondiale. Bien entendu, Ellen Johnson Sirleaf m’a battue à l’élection présidentielle de 2005, lorsqu’elle surprit tout le monde en devançant le candidat populiste favori, la star-du-football-humanitaire-people devenu politicien, George Weah. Désormais, je travaille pour elle, comme responsable de la communication entre la présidence et les citoyens, et jour après jour, je découvre les nombreux défis auxquels le Liberia est confronté.

Une reconstruction difficile

Les difficultés sont nombreuses et les succès restent discrets. Il s’agit de refaire les fondations d’un pays déstructuré, aux institutions défaillantes. Il y a un grand nombre de personnes brisées ici. Certaines ont des blessures physiques, émotionnelles et psychologiques provoquées par la guerre, et beaucoup essayent de les cacher derrière un voile d’indifférence. Nous marchons quasiment tous sur des tombes et les évocations du conflit qui ont déchiré le pays pendant 14 années sont nombreuses.

La liste des nécessités est interminable: remise en état des infrastructures, réduction de la pauvreté, création d’emplois, réduction de la dette, gestion de la réconciliation, reconstruction d’un semblant de gouvernance, relance de l’Etat de droit, réduction de la criminalité, alphabétisation, éducation gratuite pour tous, lutte contre le VIH-SIDA.

En l’espace de deux ans de présidence, Ellen Johnson Sirleaf a remis le pays sur la voie de l’équilibre budgétaire, a réglé les arriérés avec la Banque Mondiale, et obtenu un rééchelonnement de la dette. Elle a aussi restauré l’électricité dans certains endroits de la capitale après des dizaines d’années d’obscurité, a renégocié des accords d’exploitation avec la toute puissante et controversée multinationale Firestone (qui produit du caoutchouc et est le premier employeur du Liberia). Elle a conclu des contrats transparents pour l’exploitation du minerai d’or et de fer, a restructuré l’armée et a institué la gratuité de l’école primaire obligatoire.

Une éthique politique féminisée

La présidente occupe un rôle de modèle pour beaucoup de gens. Pour devenir la première présidente du Liberia (et d’Afrique), face à des candidats hommes en compétition pour le partage du gâteau national, il s’agissait d’avoir plus que du courage.

Toutefois, dans sa tâche, Johnson Sirleaf n’est pas seule. Alors que les gouvernements du passé s’étaient perdus dans des controverses d’ordre patriarcal, elle a atténué la nature masculine de la politique au Liberia en nommant des femmes reconnues à des positions politiques importantes. Ces femmes parlent avec une autorité et une légitimité qui étaient impensables auparavant. Cette féminisation de la «haute» politique accompagne en parallèle une montée en puissance de l’électorat «femmes». Beaucoup d’entres elles ont porté Johnson Sirleaf à la présidence en faisant campagne dans les marchés, en convainquant leurs enfants de voter pour celle qu’elles surnomment «Ol’Ma» (littéralement, «vieille maman»). Ainsi, l’éthique du Liberia est devenue une éthique féminisée.

“Women, oh, women! Women, oh, women! What men can do, women can do it…What men can do, women can do it (better)!” / “Femmes, oh Femmes! Ce que les hommes font, les femmes peuvent aussi le faire (en mieux)!”

Ce chant rassemble les nombreuses femmes qui, enfants harnachés sur le dos, réclament une place à part entière dans le nouveau Liberia, ainsi qu’une reconnaissance politique et sociale totale. Il y a incontestablement une nouvelle énergie au Liberia, et cette énergie féminine pousse au changement.
Être une femme au Liberia est comme réclamer sa propre humanité. Être une femme au Liberia est comme se remettre d’un problème psychosomatique et réaliser qu’on était conditionnée à être handicapée.

Désormais être une femme au Liberia est similaire à une renaissance. Cette renaissance est visible quotidiennement. Sur les artères principales de Monrovia, les vendeuses occupent les rues en vendant des bougies, bananes grillées, poissons frits ou cacahuètes. Elles occupent aussi les étals des marchés négociant les prix des différents tissus colorés auprès des couturiers. Elles parcourent les rues avec leur lourd chargement sur la tête, sous le soleil sans pitié de la saison sèche. Elles gagnent le pain de la nation. D’autre part, dans la vie trépidante de la ville, les femmes cols-blancs, habillées en tailleur, n’hésitent pas à disputer aux hommes une place dans les taxis collectifs. Elles vont travailler afin de mettre à manger sur la table. Elles sont les chefs des foyers.

Cela témoigne du fait que quand on éduque une femme, on éduque une nation. Les femmes transmettent la culture, elles sont les incubateurs de l’histoire, de la société et des coutumes. Au Liberia, les femmes représentent la voie vers la paix et la prospérité. Enfin Ellen Sirleaf a montré que l’on pouvait être simultanément «Ol’Ma» et une femme intelligente et droite. Plus que jamais, il apparaît que le genre, médiatisé socialement, est un objet en perpétuelle transformation, en mouvement.

Traduit de l’anglais par Mathieu Gasparini
 

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