Dans le jeu de dupes que constituait la baisse de l’impôt sur le bénéfice des entreprises dans le canton de Vaud, il est évident, à la suite du vote du 20 mars, que c’est la droite qui sort gagnante. Des fameuses «contreparties», seule l’augmentation des cotisations pour les allocations familiales et l’accueil de jour des enfants a, politiquement, une certaine stabilité. Les autres sauteront au premier orage venu, qu’il s’agisse des déductions LAMal ou de l’augmentation des subsides, sans même parler du fond pour les intempéries, si peu pérenne que sa dissolution est d’ores et déjà prévue en 2019.
Dans une négociation, chacune des parties tente évidemment d’enfumer l’autre, en gagnant des avantages plus importants qu’ils ne paraissent et excédant les avantages consentis à la partie adverse. À ce jeu, la gauche, le Parti socialiste vaudois et, en premier lieu, son représentant principal au Conseil d’État n’ont jamais été très bons. D’abord parce qu’ils n’ont pas dans ce genre d’affaires-là l’habitude de la droite, dont c’est en quelque sorte le cœur de métier (écraser ses concurrent·e·s, arnaquer ses client·e·s, conclure des accords secrets, etc.), mais surtout pour une raison beaucoup plus simple : la gauche ne peut négocier avec quelque succès que lorsque ses militant·e·s sont dans la rue ou menacent d’y être. Dans le cas d’espèce, la négociation s’est déroulée dans les salons feutrés du Centre patronal à Paudex et du Groupement des entreprises multinationales à Genève, sans publicité ni pression. Résultat : plus de 500 millions de cadeaux fiscaux, au bas mot, chaque année pour les entreprises vaudoises et internationales, et une centaine de millions de dépenses supplémentaires de l’État pour faire passer la note aux contribuables.
Les conséquences de ce volet vaudois, que viendra aggraver la RIE III fédérale, seront catastrophiques à tous les niveaux. Au niveau international d’abord, le plus important, où la Suisse en général et l’Arc lémanique en particulier continueront de siphonner la substance fiscale des autres pays, confirmant leur statut de parasites de l’économie mondiale. Au niveau suisse ensuite, car la concurrence fiscale relancée par le canton de Vaud aura pour effet mécanique d’appauvrir toutes les collectivités publiques. Au niveau vaudois – et lémanique – enfin, puisque l’addiction mortifère à la prédation fiscale aura été une fois de plus encouragée par cette baisse de la fiscalité à 13,8%. Les cantons de Vaud et Genève se comportent face aux entreprises multinationales comme des junkies face à un kilo d’héroïne. Au lieu d’une cure de désintoxication, ils ont simplement obtenu de nouvelles doses le 20 mars. Cette situation a un nom : c’est une rente. Vaud et Genève vivent d’une rente faite d’évasion fiscale dont les effets, comme dans toute économie de ce genre, sont extrêmement négatifs et sont comparables à la rente pétrolière qui finance certains États autoritaires. Corruption à tous les étages, avec une campagne achetée à coup de millions par les entreprises, dépendance et manque d’invention dans les politiques publiques.
La réforme fédérale, y compris dans ses versions les plus extrémistes, a trouvé son blanc-seing dans le canton de Vaud ce 20 mars. Les 87% d’opinions favorables au plan vaudois signifient que la droite a désormais champ libre pour mettre en œuvre ses propositions les plus délirantes en matière d’assèchement des caisses publiques et de prédation fiscale mondialisée. Au final, comme dans le canton de Vaud, il n’y aura que des perdant·e·s à ce jeu-là, à l’exception bien sûr des actionnaires des plus grandes entreprises.
Venons-en maintenant au seul véritable débat tactique au sein de la gauche sur le volet vaudois de la RIE III. Quiconque en possession de ses sens à gauche avait compris que la baisse de l’imposition du bénéfice à 13,8% devait être combattue, la question était de savoir comment. C’est sur ce plan que la discussion sur le lancement d’un référendum contre cette colossale baisse d’impôts s’est déroulée.
Les référendaires ont oublié qu’on ne perd pas impunément un référendum, surtout lorsque c’est par une marge de près de 75 points. Une pareille défaite aura des conséquences incalculables, non seulement dans les prochains mois (et les discussions autour de l’opportunité de lancer un référendum fédéral contre la RIE III), mais dans la décennie à venir. Elle bloque toute aventure référendaire ces prochaines années, et laisse le champ libre aux forces conservatrices, qui désormais avancent sans obstacle et confiantes en leur propre puissance, soutenues qu’elles sont par une écrasante majorité populaire.
La politique est une affaire incertaine, si rien n’y est parfaitement déterminé, rien n’y est absolument impossible non plus. Mais on doit y agir en ne méprisant pas le probable. Or cette défaite était probable, son ampleur aussi, tout comme la force infiniment supérieure de nos adversaires. Dans ces conditions, il était suicidaire de lancer un référendum, non pas simplement au sujet de l’application de la feuille de route vaudoise, mais surtout en regard des conséquences désastreuses qu’un tel résultat aura pour le canton de Vaud et la Suisse tout entière. Perdre le référendum vaudois ne signifie pas simplement laisser intactes les lois votées par le Grand Conseil l’automne passé: cela leur donne un surcroît de légitimité inespéré pour leurs partisan·e·s, tout en affaiblissant très durablement les positions de leurs opposant·e·s.
Nous avions tu notre position jusqu’à maintenant, car l’heure était alors à la campagne, une fois le référendum lancé. Ce temps est passé, l’heure du bilan est désormais venue, et il faudra le faire sans fard. L’échec du référendum contre la mise en œuvre de la RIE III dans le canton de Vaud est, plus généralement, l’échec d’une manière de faire de la politique qui confine à l’irresponsabilité.
La rédaction