Article paru dans Pages de gauche N° 155
Le 9 avril dernier, Le Courrier prenait l’initiative d’organiser une journée consacrée à la «presse alternative». Pages de gauche y a pris part, aux côtés de Moins!, de la WoZ, de Vigousse ou de Gauchebdo, pour ne citer que quelques-uns des titres présents.
Faire vivre un journal n’est pas chose aisée aujourd’hui, même si les situations sont bien sûr très variées. Entre un quotidien comme Le Courrier ou un hebdomadaire comme la WoZ, qui salarient une équipe de journalistes, des secrétaires, des dessinatrices·eurs et des graphistes, et des journaux d’opinions comme Moins! ou Pages de gauche, qui comptent pour l’essentiel sur des ressources militantes pour remplir leurs pages, les réalités sont évidemment contrastées. Gauchebdo se situe un peu entre les deux, puisque l’équipe rédactionnelle compte quelques journalistes et salarié·e·s, mais que les militant·e·s du POP continuent à l’alimenter généreusement. Seul point commun à l’ensemble de ces titres: la certitude que l’existence d’une telle presse alternative, d’information et d’opinion, est une condition sine qua non à l’existence d’un espace public démocratique. Dans un monde médiatique dominé de plus en plus complètement par quelques grands groupes dont, parfois, la presse n’est qu’une activité annexe, le maintien de titres indépendants revêt une importance chaque jour plus grande.
La journée a également donné la parole à plusieurs journalistes d’investigation, aujourd’hui menacés dans leur travail, en Suisse comme en France. Les témoignages d’Ivan Duroy, du site français Bastamag, poursuivi en diffamation par le groupe Bolloré pour un article sur l’accaparement des terres (le site a entretemps été relaxé par le Tribunal de grande instance de Paris, ce qui est une excellente nouvelle), de Marc Guéniat, de la Déclaration de Berne, dont des publications sur Jean-Claude Gandur avaient été supprimées d’un blog de L’Hebdo, de Benito Perez du Courrier, poursuivi par le même Gandur pour un article rappelant les origines douteuses de sa fortune (voir Pages de gauche n° 152), de Heidi Gmür (NZZ) et de quelques autres ont permis de mesurer les difficultés qui se dressent aujourd’hui en Europe contre le travail d’investigation.
Nicolas Vescovacci, représentant le collectif «Informer n’est pas un délit», s’est également exprimé. Ce collectif, créé en réaction à un amendement ajouté en catimini dans la Loi Macron pour soi-disant protéger «le secret des affaires», avait réussi à faire reculer le gouvernement français début 2015. L’affaire n’est cependant pas terminée puisqu’elle a été amenée au niveau européen. Le Parlement européen a en effet adopté le 14 avril d’une «directive sur le secret des affaires» protégeant les entreprises contre d’éventuelles enquêtes sur leurs pratiques. Il reste à espérer que sa traduction dans les législations des États membres ne se fera pas au seul détriment du travail des journalistes et des «lanceuses·eurs d’alerte», surtout au vu des protestations que cette directive a suscitées dans toute l’Europe (plus de 500’000 personnes ont demandé son retrait).
Devant les difficultés rencontrées par la presse indépendante, difficultés touchant aussi bien son financement que les conditions dans lesquelles se fait son travail d’information, il est impératif de réfléchir collectivement aux réponses à leur approter et de créer des réseaux qui permettent de mieux résister aux attaques des gouvernements, des grandes entreprises et des groupes de presse privés, dont le seul intérêt est de faire de l’information une marchandise comme une autre. On ne rappellera sans doute jamais assez que la première résistance demeure toutefois celle des lectrices et des lecteurs, qui s’abonnent à cette presse et lui donnent les moyens de remplir son rôle, indispensable au fonctionnement de la démocratie.
Antoine Chollet
À lire: Fabrice Arfi, Paul Moreira (dir.), Informer n’est pas un délit, Paris, Calmann-Lévy, 2015.
Sites des titres présents: www.lecourrier.ch, www.bastamag.net, www.woz.ch, www.achetezmoins.ch, www.vigousse.ch, www.gauchebdo.ch.