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Pomo d’oro: l’iconographie politique de l’or rouge d’Italie /

Au bas de la chaîne d’approvisionnement de la tomate se trouvent des milliers de travailleurs (des hommes) immigrés africains sous-payés et surexploités. Ce sont les hommes qui, chaque été, s’échinent sous le soleil brûlant des Pouilles pour s’assurer que nous pourrons manger nos pâtes avec de la sauce tomate. Ils viennent uniquement pour la récolte, entre août et septembre, travaillent 12 heures par jour et ne gagnent pas plus de €3.50 par grosse caisse remplie.

Pourtant ces travailleurs sont absents de l’iconographie de la tomate italienne. Si on regarde une publicité sur le coulis de tomate, au supermarché, ou un site internet agro-industriel, tout ce qui est donné à voir est des champs de culture (sans travailleurs), des ouvriers souriants sur leur machine, ou encore le produit final idéalisé sans, aucune trace du travail des champs.

Cette absence a atteint son paroxysme lors de à l’exposition internationale de Milan de 2015. Le pavillon, tout à la gloire du secteur agro-industriel, proclamait «l’excellence du Made in Italy», les «compétences et valeurs» de la production agricole italienne, et l’efficacité de la chaine de production. Les vidéos promotionnelles projetées diffusaient une image d’harmonie trompeuse et la vérité est somme toute bien différente.

Chaque vidéo suivait exactement le même schéma, usant de la métaphore du cycle de la vie afin de documenter le parcours de la tomate du champ à l’assiette. La narration commence avec la plantation des semis de tomates, passant ensuite à la récolte et la transformation industrielle, avant de terminer à table. Ce processus très organisé de production et d’accumulation est synonyme de nature et d’harmonie. Ce qui était évoqué était un voyage entre la culture, l’hyper-modernité et le traditionnel. Une surcharge de valeurs traditionnelles mises en relation avec l’efficacité moderne et la technique. Ce qui était encore absent était précisément le plus important, les ouvriers. Pas une seule vidéo ne dépeignait la difficulté de la récolte de la tomate, aucun visage noir n’était montré. Le fétichisme de la marchandise, pur jus.

Toutefois, il ne s’agit pas seulement de dénoncer des méchants agro-industriels instrumentalisant leurs ouvriers et les effaçant du paysage. Car ces travailleurs sont en même temps instrumentalisés par les associations de soutien et les syndicats. Quand le capital prétend que ceux qui font le sale travail n’existent pas, les associations de soutien prétendent que leur travail et la vie qu’ils mènent sont pires que la réalité.

Comment et pourquoi en est-il ainsi? Il y a un rapport dialectique entre les associations qui pour contrer la dissimulation et l’exploitation des travailleurs de la tomate par les agro-industriels, exagère leur présence et les abus. Elled les décrivent comme vivant et travaillant dans des conditions néo-féodales – souvent les décrivant comme «réduits en esclavage» par des organisations mafieuses.

Stop Caporalato

Un exemple classique de cette situation vient de la grande campagne de la société civile intiutlée «Stop Caporalato». Elle est une initiative organisée par la branche agriculture du puissant syndicat CGIL en partenariat avec les associations de soutien qui travaillent sur les droits des migrant×e×s. Elle s’appuie sur une longue histoire d’activisme dans l’agriculture au Sud de l’Italie et restitue une rhétorique convenue. Le but officiel est double: premièrement la promulgation d’une loi contre l’organisation criminelle de la main d’œuvre – caporalato. Deuxièmement, la promotion d’une agriculture plus éthique, à travers la mise à l’index des grosses firmes agro-industrielles et des supermarchés achetant ces produits soi-disant issus d’une filière mafieuse.

Cette façon de faire pose deux problèmes. Premièrement, c’est une stratégie profondément libérale qui s’appuie sur des discours extrémistes et individualistes («esclaves et chef×fe×s mafieuses×eux»), qui sert à reproduire l’idée que l’exploitation existe hors des structures du marché, alors qu’elle n’est qu’une conséquence de celui-ci. Par conséquent cela renforce le discours sur l’économie de marché qui intègre injustement ces travailleurs en les dépolitisant. Deuxièmement, cette iconographie de pitié tend à aliéner les travailleurs migrants qu’on cherche à aider, en les représentant faussement comme des victimes. Finalement, cela empêche une politique de solidarité efficace.

Le ghetto

Cela apparaît clairement lorsqu’on visite le principal camp de travail informel, le «ghetto» que la plupart habitent pendant la récolte de la tomate. C’est un mélange de colère et d’incrédulité. Pas seulement envers les compagnies faisant de l’argent sur leur dos, mais aussi contre la société civile et les responsables syndicaux accusés de les dépeindre comme des enfants et de les utiliser. Plusieurs activistes syndicaux sont même personae non gratae dans les ghettos, parce qu’ils sont perçus comme promouvant une image servant leurs intérêts, au lieu d’aider les travailleurs migrants. Personne dans le ghetto ne se considère comme esclave, personne ne demande la pitié, et tous souhaitent voir la dignité de leur travail reconnue et respectée.

Cela nous apprend que la politique de la pitié provoque la colère de ceux qui désirent voir leur humanité reconnue. Ça met en colère car on leur refuse une voix; parce que l’ingérence extérieure est souvent problématique et qu’on les instrumentalise à d’autres fins.

À la fin, le secteur agro-capitalistique est coupable de gagner sa richesse à travers l’extraction de la plus-value, de cacher le sale travail réalisé par des travailleurs pauvres. Mais une stratégie émancipatoire basée sur la pitié et la honte, qui utilise le langage de l’esclavage ou de la criminalité n’est pas la voie à suivre. Ce qui est nécessaire est le développement d’une stratégie avec les travailleurs exploités, à la base et pour leurs intérêts.

Neil Howard (traduction MG)

Version longue d’un article paru dans le N° 151

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