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Mai 68, la cymbale et la politique

Les enfants d’après-guerre, les baby-boomés, les soixante-huitards entrent (battent) en retraite. Du seul fait qu’ils ont pris de l’âge, ils provoquent un renversement démographique: celui du rapport entre la population active, qui crée la richesse nationale disponible, et la population non-active.

En quarante ans, on a glissé dans une autre société, qui est à la recherche de solutions politiques qui lui soient propres. Lesquelles? Certains dans cet exercice pratiquent la politique du balancier: ce qui était vérité en 68 devient erreur en 2008, à l’esprit libertaire devrait succéder l’autorité incontestée. Le président français Sarkozy a fait sa campagne électorale en critiquant frontalement l’idéologie de mai 68, mais à gauche aussi des voix s’élèvent pour rappeler que la liberté ne s’obtient pas seulement par une levée des interdits, mais par la régulation et, le mot ne faisant plus peur, l’ordre.

Les jugements sur mai 68 doivent, pour être historiquement pertinents, tenir compte du caractère bicéphale du mouvement: la fronde explosive des étudiants et la grève générale, la plus extensive que la France ait connue. D’une part, les premières critiques de la société de consommation par une petite fraction de la population, les étudiants, en majorité fils et filles de bourgeois, et d’autre part la masse des travailleurs désireux d’accéder plus pleinement aux fruits de la consommation, à défaut de ceux de l’abondance.

Toutefois il est possible de tirer de cette expérience unique quelques leçons, toujours valables.

Radiophoniquement

Les pavés, les barricades furent à la fois un défi et une mise en scène. Rien à voir avec celles de la Commune qui furent sanglantes. Ludiquement, on provoqua les CRS (SS) comme on joue aux gendarmes et voleurs. Ce fut violent, brutal même, mais contenu. L’amplification fut le fait de la radio, notamment de la radio privée Europe n°1, qui était une radio libre, appartenant à un milliardaire français. Passant du style yé-yé et Salut les copains au reportage en direct des affrontements, elle amplifiait la résonance de la révolte. A l’époque, les médias (radio et télévision) étaient par la structure de l’ORTF sous le contrôle direct du pouvoir gaulliste. Le filtrage de l’information fut donc mis en échec. Une conquête incontestable de mai 68 est d’avoir ébranlé le monopole étatique. Nous avons aujourd’hui encore à en faire une règle fondamentale de la démocratie, celle de la séparation du pouvoir politique et des médias.

Le Guépéou

Mai 68 illustra le déphasage entre le parti communiste et les étudiants. L’image est connue. Celle de Louis Aragon, en septuagénaire à la crinière de cheveux blancs, descendu sur les boulevards du Quartier latin manifester son soutien, et apostrophé, comme stalinien, par Cohn-Bendit. Trois mois plus tard, ce fut à Prague l’application du droit d’ingérence version Brejnev. Louis Aragon lui-même prit vivement ses distances, sans aller jusqu’à la rupture avec son parti. On fera crédit à mai 68 de n’avoir pas chipoté sur le sens du mot «Liberté».

Nanterre

Il est fascinant d’observer comment un chahut à Nanterre s’amplifia jusqu’à remettre en cause le concept d’autorité. La France centralisatrice, cultivant le prestige des hautes écoles, pays de mandarinat, se prêtait à cette contestation. L’autorité ne fut plus considérée comme de droit divin ou paternaliste, mais comme une adhésion à une personne s’imposant par ses qualités personnelles et professionnelles. Même si c’est sur ce point que le balancier tente un retour en arrière ostensible, l’évolution d’une autorité imposée à une autorité reconnue est un apport irréversible de mai 68.

L’épreuve politique

On a fait à mai 68 des reproches de toute nature: pas de changement profond dans la relation capital-salarié; pas d’impulsion forte à la construction de l’Europe ou à la décentralisation. Mais il est excessif de demander à un mouvement, qui fut un grand coup de cymbale, des résultats politiques qui ne peuvent être menés à bien que dans la durée. Et ces domaines de la patience politique sont notamment l’urbanisme, le logement, la pédagogie, le financement équitable du coût de la population non-active, l’organisation du contre-pouvoir syndical, la garantie de l’indépendance médiatique.

Mai 68 ouvrit la porte du pouvoir, treize ans plus tard, au socialisme de François Mitterrand. L’utopie – changer la vie – se mesurait à l’épreuve de la réalité sociale. On a parlé avec mépris de «récupération» politique. C’est pourtant la noblesse de la politique de traduire dans les faits, dans la durée, avec échec et réussite, ce qui se présente d’abord comme une flambée.

 

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