La rédaction •
«L’appel des 250» de 1990 en France dressait déjà un tableau sombre du retour en force des groupes d’extrême droite. Depuis une trentaine d’années, leurs discours se sont banalisés et se matérialisent désormais dans des politiques ultra-sécuritaires et antimigrant·e·s comme aux frontières de l’Europe ou dans la plupart des capitales européennes, des politiques natalistes racistes en Hongrie ou en Italie, et dans l’exaltation de violences contre des communautés d’immigré·e·s en ex-Allemagne de l’Est, à Lyon et dans sa région, ou cet été de l’autre côté de la Manche.
Ce dossier ne s’est pas concentré sur les nombreuses victoires électorales de partis d’extrême droite à travers l’Europe et ce qu’elles signifient localement. Le score de 33% de l’AfD début septembre en Thuringe ne fait que s’ajouter à une longue liste inquiétante déjà connue. Au lieu de cela, ce sont huit thématiques transversales qui ont été abordées dans le but de mieux discerner les processus de fascisation. Ils sont déjà parvenus à corrompre une fois les sociétés européennes et ils menacent de le refaire.
Des discours fascistes à l’international
Nous ne reverrons probablement plus de colonnes de dizaines de milliers de chemises brunes vociférant à la gloire d’une figure providentielle et prêtes à tabasser tout groupe qui ne les acclamerait pas. À la grande différence de 1920, la société européenne s’est largement démocratisée et pacifiée ; les corps francs ont disparu. Mais l’absence de cette pratique propre au fascisme ne signifie pas que nous n’avons plus affaire à lui. Ne représentant aucun avantage stratégique, le recours à cette imagerie est largement laissé de côté, en Europe occidentale tout du moins. Cela n’enlève en revanche rien au fond idéologique qui, lui, reste le même.
Face à la fin des partis de masse, d’autres outils ont pris le pas. Les médias de masse semblent alors capables de larges déstabilisations. La fascisation accélérée d’Elon Musk est un exemple frappant de cette nouvelle stratégie. Amplifiant toutes les paniques morales américaines et européennes, une grande partie de notre dossier pourrait lui être dédié : transphobe et masculiniste en puissance, opposé aux droits syndicaux par peur des blocages des usines Tesla, sceptique face aux sciences humaines, faussement écologiste, et finalement symbole d’une concentration des médias.
Un terreau économique de l’extrême droite
Les victoires d’étape de l’extrême droite ne peuvent cependant pas être attribuées au champ discursif à lui seul. Elles sont aussi le fruit d’une situation socio-économique en crise où toute perspective d’une meilleure distribution entre le capital et le travail semble hors de portée. Les seules options considérées comme possibles sont alors des redistributions de ressources au sein même du camp du travail. La première conséquence est le succès de la ligne droitière contre le mécanisme solidaire du chômage qui ruinerait celles et ceux qui se lèveraient tôt le matin pour aller travailler. Cette ligne fait alors écho, avec des ajouts racistes, à la deuxième conséquence résumée par l’adage xénophobe «les nôtres avant les autres». Dans l’impossibilité de gagner quoi que ce soit face à la violence du capitalisme néolibéral, les seules améliorations des conditions de vie envisageables ne pourraient alors se faire qu’au profit de groupes sociaux racisés davantage paupérisés.
Le monstre est sorti de l’œuf
Les combats antifascistes qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont eu comme but d’écraser le fascisme dans l’œuf pour que celui-ci ne puisse propager son venin. En 2024, l’état de l’extrême droite européenne est multiple selon les régions, mais très rares sont les cas où elle n’a pas éclos.
Comme nous l’avons vu en page 8, la propagation des idées d’extrême droite se fait en deux temps. D’abord les groupes les plus extrémistes font des sorties d’une violence inouïe, puis leurs relais déjà normalisés — l’UDC pour la Suisse — reprennent le cœur du message avec quelques nuances. Bloquer ce processus à la première étape est alors l’option antifasciste la plus rapide à mettre en place et la plus efficace. Les groupuscules d’extrême droite ont investi les rues alors même qu’ils sont largement minoritaires. Réinstaurer un rapport de force favorable au camp progressiste à travers de larges mobilisations populaires permettra alors de les faire reculer, d’autant plus que leur puissance est surestimée; ces groupes ne sont composés que de quelques dizaines de militant·e·s.
Ensuite, l’extrême droite gangrène l’univers des idées en imposant ses thèmes dans le débat public. Certains partis de droite anciennement plus modérés lui emboîtent le pas, s’extrême-droitisent, et enjoignent le reste de la société à faire de même en énonçant de fausses évidences. Face à cette dynamique mortifère, la gauche a comme tâche de développer et de fortifier les outils capables de former un rempart contre elle. Cela passe d’un côté par le renforcement d’une presse de gauche, pour l’instant très faible en Suisse romande, et par la défense de la presse régionale, constamment attaquée lorsqu’elle bénéficie de subsides publics, et placée sous des contraintes de profit par ses actionnaires. De l’autre côté, les idées d’extrême droite doivent être attaquées frontalement en ne montrant aucune tolérance face aux discours racistes, antisémites, homophobes ou sexistes. Cette rigueur n’empêchera jamais de marteler que les difficultés sociales vécues par les électeurs·trices prolétaires des partis d’extrême droite trouvent leur origine dans l’exploitation du patronat.
Malheureusement, les tropes réactionnaires sont déjà trop établis au sein de nos sociétés pour espérer les balayer par de simples discours. Changer la situation matérielle des gens par des politiques sociales fortes représente le troisième champ d’action antifasciste. Hausses de salaire, logements abordables, gratuité des soins, toutes ces mesures ouvrent de nouvelles perspectives de redistribution entre capital et travail. Elles améliorent les conditions de vie de la grande majorité et rappellent ce vieux dicton: l’extrême droite est l’ennemie des travailleurs·ses, en Suisse plus que partout ailleurs. L’UDC protège la place financière zurichoise et des entreprises de l’USAM, et attaque toutes les mesures visant à améliorer les conditions de vie de la population.
En agissant sur ces trois axes, nous pourrons dire que leurs reculs sont faits de nos avancées.
Illustration: «Programme – Et quand nous serons au pouvoir, nous ne dirons plus: “Réveille-toi, l’Allemagne!”, mais nous frapperons à mort ceux qui ne sont pas réveillés!» (Simplicissimus).
Article publié dans Pages de gauche no 193 (automne 2024).