Comment parler du fascisme aujourd’hui?

Les succès de l’extrême droite un peu partout dans le monde conduisent parfois à comparer la situation actuelle aux années 1920 et 1930, au moment où des partis fascistes ont pris le pouvoir dans plusieurs pays. Lorsqu’on évoque le fascisme, il faut toutefois éviter plusieurs écueils.

Le premier revient à voir du fascisme partout et à le faire équivaloir à tout ce avec quoi on est en désaccord. Nous avons des divergences profondes, sur des points essentiels, avec tous les partis de droite (et avec certains partis de gauche aussi, parfois), mais cela ne doit pas nous conduire à les assimiler tous dans cette catégorie infamante, en oubliant par exemple qu’il y a toujours aussi eu des résistances au fascisme à droite.

Le deuxième écueil, c’est de considérer que le fascisme est un phénomène purement passé, confiné aux décennies durant lesquelles il est apparu en Europe, et que le terme est inapplicable à une autre époque. On insiste alors sur les différences évidentes entre les partis d’aujourd’hui et les nazis ou les fascistes italiens pour conclure que le fascisme aurait disparu. C’est faire un étrange usage de l’histoire que de s’interdire d’y repérer des analogies, et donc aussi des avertissements.

Enfin, troisième écueil très largement répandu dans une partie de la gauche, le fascisme a bien souvent été analysé comme une réaction presque mécanique à une situation économique, sa prise de pouvoir ne pouvant être évitée qu’au prix de la chute du capitalisme au niveau mondial. Produire ce genre d’analyse revient à ignorer les luttes politiques engagées contre les mouvements fascistes, dont certaines ont été couronnées de succès, d’autres échouant en partie par la faute des partis de gauche, comme ça a été le cas en Allemagne en 1932-33.

Signaler ces trois écueils ne signifie pas que la frontière entre la droite et les mouvements fascistes soit parfaitement étanche, qu’il n’existe pas de différences significatives entre les années 1930 et aujourd’hui ou que les conditions économiques n’offrent aucune clef de compréhension de la montée du fascisme, bien entendu. Il faut plutôt voir cela comme autant de rappels permettant de comprendre le plus tôt possible la gravité de ce qui se déploie sous nos yeux.

Nous avons précisément tenté dans ce dossier de contourner ces écueils et de nous interroger sur les signes des différentes résurgences du fascisme aujourd’hui, sans prétendre que les années 1930 reviennent mais sans affirmer non plus que pareille folie politique serait miraculeusement devenue impossible aujourd’hui.

Illustration: «Les victorieux» (Simplicissimus, 1932), Hitler et Hindenburg: «On ne voit pas sur leur visage qu’ils ont subi une défaite.» — «Ils ne le savent pas encore, ils ne font que lire leurs propres journaux.»

Cet article est paru dans le no 193 de Pages de gauche (automne 2024).

antoine_chollet