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L’autoritarisme par les urnes: les élections en Angola

Didier Péclard, chercheur à Swisspeace et spécialiste de l’Angola, nous livre son analyse des derières élections en Angola. Il démontre que, de manière paradoxale, les élections peuvent légitimer l’autoritarisme.

Le 5 septembre 2008, les Angolais se sont rendus aux urnes pour la deuxième fois de l’histoire du pays afin d’élire leur parlement. Un peu plus de six ans après la fin d’une guerre civile qui, durant près de 27 ans, a ravagé le pays, ces élections étaient placées sous le signe de la «normalisation» du pays et de sa transition vers la démocratie. Le bilan est pour le moins mitigé.

Comme on pouvait s’y attendre, le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1975 sort grand vainqueur du scrutin. Si la victoire du parti de José Eduardo dos Santos, le Président angolais en place depuis 1979, ne surprend pas, c’est son ampleur qui impressionne: avec 81,64% des suffrages exprimés, le MPLA obtient nettement plus que les 2/3 des sièges de l’Assemblée nationale dont il avait fait un objectif non avoué.

Quant à l’opposition, elle se partage les miettes: l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), ancien parti rebelle fondé par Jonas Savimbi en 1966 et qui a mené une lutte armée de plus de 25 ans contre le MPLA afin de lui ravir le pouvoir, n’obtient que 10,39% des suffrages, les huit pourcents restant se répartissant entre les douze autres partis en lice, dont trois seulement obtiennent une représentation à l’Assemblée nationale.

Un scrutin dans le calme

L’un des principaux enjeux de ces élections était qu’elles se passent dans le calme et qu’elles ne débouchent pas sur une reprise des combats. En 1992, un premier scrutin organisé à la hâte au terme d’un processus de paix trop rapide et dans un contexte où les deux belligérants, MPLA et Unita, n’étaient pas prêts à accepter de perdre dans les urnes ce qu’ils avaient cherché à gagner par les armes, s’était en effet soldé par un échec retentissant, conduisant à 10 années supplémentaires de guerre particulièrement meurtrière pour les populations civiles.

En ce sens, les élections de septembre 2008 ont été un succès: les citoyen-ne-s angolais ont fait preuve d’un grand sens civique et démocratique malgré le chaos relatif dans lequel ils ont dû voter.  L’Unita, qui avait commencé par contester les résultats du vote, n’a jamais attiré le débat sur un terrain autre que politique. A y regarder de plus près, le bilan est toutefois plus contrasté et laisse planer de sérieux doutes sur la démocratisation à l’Angolaise.

Les conditions de  «l’entrée en paix»

Pour comprendre les dynamiques de la transition en cours en Angola, il faut revenir sur la façon dont le pays est «entré en paix». Face notamment à une société civile, Églises chrétiennes en tête, qui se structure pour faire pression sur les belligérants afin qu’ils reprennent les négociations, et qui trouve un certain écho au niveau international, le président dos Santos opte à la fin des années 1990 pour un règlement militaire du conflit, qui passe par l’anéantissement de l’Unita en tant que mouvement rebelle armé, solution qui présente pour le gouvernement l’avantage collatéral non négligeable de couper l’herbe sous les pieds aux mouvements qui font pression pour une issue négociée.

C’est ainsi que le président angolais annonce fin 1998 le lancement d’une «guerre pour la paix» dont l’objectif est d’«annihiler politiquement et militairement l’Unita belliciste», et qui débouche, début 2002, sur la mort de Jonas Savimbi et la capitulation de son parti. La victoire militaire sur l’Unita est donc bien autant, voire avant tout, une victoire politique. Elle permet au MPLA de faire l’économie de négociations longues et potentiellement difficiles, dans lesquelles il lui aurait été difficile d’éviter les concessions, et qui auraient, surtout, pu donner un élan nouveau à la société civile angolaise. En triomphant de son frère ennemi, le MPLA s’arroge donc surtout le droit de dicter les règles de la transition vers la paix et de contrôler strictement le processus de «démocratisation» qui l’accompagne.

Un match à dix contre un

Ce n’est donc pas une grande surprise si la période qui conduit aux élections s’apparente, selon les termes d’un observateur angolais de la société civile, à un match de foot opposant dix joueurs de champ à un gardien de but.

Le MPLA ne s’est pas présenté comme un «simple» parti politique, mais bien sûr comme le bras politique d’un appareil d’Etat entièrement dévoué à sa cause. Ainsi, le parti et le Président dos Santos ont su capter à leur avantage les dividendes de la paix, récupérant à leur propre compte le succès militaire contre l’Unita, le cantonnement et la démobilisation de la grande majorité de ses soldats, ou encore le soutien humanitaire fourni par la communauté internationale aux familles de ceux-ci ainsi qu’aux populations précédemment sous contrôle des «rebelles».

L’opposition, quant à elle, a souffert à la fois de son inexpérience, de ses divisions, du manque de liberté d’expression dans le pays, et des multiples violences et intimidations dont la campagne a été entachée.
Sur fond d’un boom économique sans précédent (la croissance moyenne du PIB angolais sur la période 2002-2008 a dépassé les 15%) et dans un contexte où l’Angola, avec une production de pétrole qui avoisine les 2 millions de barils par jour, est courtisé par les investisseurs internationaux, les élections de septembre dernier auront montré comment la démocratisation peut être «le prolongement de la guerre par d’autres moyens», et comment les urnes peuvent légitimer l’autoritarisme.
 

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