0

Il y a 90 ans, la Suisse en grève

Le 12 novembre 1918, dans un contexte international troublé, les travailleuses et travailleurs suisses entament une grève générale de trois jours. Retour sur un mouvement qui a marqué l’histoire sociale et politique du pays.

Pour comprendre la grève de 1918, il faut remonter au déclenchement de la première guerre mondiale. Les gouvernements européens croient alors à un conflit localisé et bref, sur le modèle des guerres qui ont rythmé la fin du XIXe siècle. Personne n’imagine alors la longueur et la violence de ce qui va devenir «la Grande Guerre». Cette imprévoyance débouche sur une dégradation extrêmement importante des conditions de vie de la population civile qui subit les improvisations des gouvernements.

L’aveuglement du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral ne déroge pas à la règle… En choisissant, par exemple, de demander de nouvelles liquidités à la Banque nationale afin de financer ses dépenses extraordinaires, il contribue à accroître fortement une inflation déjà favorisée par les difficultés d’approvisionnement. Entre 1914 et 1918, le prix du charbon quintuple, celui des pommes de terre triple; le pouvoir d’achat s’effondre. De plus, le gouvernement ne se borne pas à se tromper face à des phénomènes économiques, comme l’inflation, qu’il maîtrise mal. Il va délibérément faire porter l’effort de guerre sur la population en choisissant de recourir à l’augmentation des impôts indirects. Guiseppe Motta, alors président de la Confédération, l’avoue en 1915: «(…) ce sont les petits [consommateurs] qui, proportionnellement, par le jeu même et par la nature de l’impôt indirect, apporteront l’obole la plus importante aux frais communs.» Pendant ce temps, les industries suisses s’enrichissent… Celles des métaux et de la chimie voient leurs bénéfices nets quadrupler entre 1914 et 1918. A la fin de la guerre, la population suisse, pourtant épargnée par les combats, n’en peut plus, d’autant plus que les soldats mobilisés ne touchent aucune allocation pour perte de gain.

Le mécontentement s’élargit

Peu à peu, le mécontentement s’élargit aux classes moyennes qui n’arrivent plus, elles non plus, à supporter l’augmentation du coût de la vie. Le 30 septembre 1918, ce qui aurait été impensable quelques années auparavant arrive: les employés de banque zurichois se mettent en grève, soutenus par l’Union ouvrière locale. La situation semble se détendre lorsque des négociations fructueuses sont menées entre le Conseil d’Etat zurichois et les grévistes. Mais, le 9 novembre, c’est la consternation parmi les organisations ouvrières. Contre l’avis du gouvernement cantonal, le Conseil fédéral décide de faire occuper Zürich militairement. Il cherche, clairement, le rapport de force. Pourquoi? La démobilisation est proche, les empires centraux ont perdu la guerre et s’effondrent; le gouvernement suisse entend faire comprendre au prolétariat suisse pourtant peu revendicatif que les troubles révolutionnaires internationaux s’arrêteront à la frontière.

L’épreuve de force

Le comité d’Olten – un comité de liaison entre différentes organisations ouvrières créé quelques mois plus tôt – décrète d’abord une grève de protestation, puis une grève générale dès le 12 novembre. Une liste de revendications en neuf points est dressée. Celle-ci se concentre sur des réformes: l’AVS, la semaine de huit heures ou les droits politiques pour les femmes. Elle se distingue surtout par un strict respect des institutions et des lois suisses. La réponse du gouvernement n’en est pas moins cinglante. Barricadé dans un hôtel bernois et ayant fait occuper le Palais fédéral, il refuse toute négociation et menace: soit le mouvement prend fin, soit la troupe s’occupe de restaurer l’ordre. Après trois jours et la participation de 250 000 grévistes, le comité d’Olten appelle à la reprise du travail sans avoir rien obtenu. «C’est à pleurer, jamais une grève ne s’est effondrée si honteusement», déplore Ernst Nobs dans le Volksrecht.

De l’utilité de 1918

Malgré son échec apparent, la grève générale a profondément marqué les esprits. Si la bourgeoisie crie très rapidement au complot bolchevique (cf. encadré), elle comprend également la nécessité qu’il y a de mener une certaine politique sociale, ne serait-ce que pour s’assurer une adhésion minimale d’une part suffisante de la population. Quant au mouvement ouvrier, cette grève lui a permis de s’imposer en tant qu’acteur des scènes sociale et politique suisses et d’inscrire d’importantes réformes – la semaine de 48 heures, l’AVS, les droits politiques des femmes – même si certaines ne seront concrétisées que des années plus tard.

N.B. Cet article est une version raccourcie d’une série d’articles publiés dans L’événement syndical du 12 novembre.

webmaster@pagesdegauche.ch

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *