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Genève: refermer la boîte de Pandore

Les débats autour de la laïcité ont été relancé à Genève par un projet de loi du Conseil d’État. Le sujet divise la gauche, on le sait, et Pages de gauche en a déjà rendu compte (voir Pages de gauche n° 102). Nous publions ce mois-ci un entretien avec Sandrine Salerno, Conseillère administrative en charge des ressources humaines en ville de Genève, qui a pris position sur la question de manière tranchée (voir Le Courrier du 27 mai).

Pourquoi cette agitation à Genève?

Suite aux travaux de la «plateforme de réflexion sur la laïcité» initiée par Pierre Maudet, le Conseil d’État a présenté un projet de «loi sur la laïcité». Deux autres textes ont été rédigés, l’un demandant une séparation stricte de l’État et du religieux, provenant d’une partie d’Ensemble à Gauche, et l’autre, de Solidarités, constituant un projet de loi constitutionnelle demandant l’égalité de traitement de tou·te·s les citoyen·ne·s, quelle que soient leur religion, sans demander que l’État soit aconfessionnel.

Nous sommes donc en présence de deux débats, l’un sur les limites de l’action de l’État en regard du fait religieux, et l’autre sur une supposée neutralité de l’État et de ses agent·e·s.

Avant le dépôt du projet du Conseil d’État, ces débats n’existaient pas à Genève. Celui-ci a donc véritablement ouvert une boîte de Pandore.

Quelle définition de la laïcité et des rapports entre les églises et l’État adopter?

Ces définitions sont nécessairement différentes selon les circonstances, et ne peuvent ainsi être les mêmes à Genève, dans les cantons de Vaud ou de Berne, ou ailleurs à l’étranger.

À Genève, nous connaissons une gestion plutôt ouverte des rapports entre églises et État. Celui-ci prélève les impôts ecclésiastiques, entretient des aumôneries pour les prisons, permet aux églises un usage du domaine public, sans même parler du serment prêté par le gouvernement à la cathédrale, fût-elle sécularisée pour l’occasion. Il y a donc une grande porosité entre le politique et le religieux, et une empreinte de ce dernier dans le patrimoine architectural cantonal. Je crois qu’il faut maintenir cette porosité.

Depuis James Fazy, les principes sur lesquels repose la laïcité genevoise sont la liberté de conscience pour les individus et un espace accordé aux principales religions, à l’époque les églises réformée, catholique et grecque orthodoxe, ainsi que la synagogue et les francs-maçons. Ces principes me semblent justes, en ajoutant que la liste des religions doit tenir compte de la situation réelle, qui a bien sûr évolué depuis le milieu du XIXe siècle.

Les gens ont une appartenance religieuse, et doivent dès lors avoir le droit de pratiquer leur culte. La séparation stricte des églises et de l’État ne correspond pas du tout à la manière de vivre à Genève. L’espace public y est plein de signes religieux, comment pourrait-on confiner ces derniers à l’espace privé?

Par ailleurs, dans son projet de loi, le Conseil d’État est très strict sur la neutralité de l’État, ce qui constitue à mes yeux le seul vrai problème dans son texte. Cette neutralité suppose notamment l’invisibilité de l’appartenance religieuse des agent·e·s de la fonction publique. En ce qui me concerne, et c’était le sens de ma note à l’attention du Conseil administratif de la ville de Genève, tant que l’habillement n’altère ni la compétence de la personne concernée, ni la qualité de la prestation, il n’y a pas de raison de légiférer sur le sujet.

Comment contextualiser ces problèmes?

Dans les débats sur la laïcité, les références à des situations étrangères sont permanentes. On parle davantage de l’Iran ou de l’Afghanistan que de Genève. Or c’est bien de Genève qu’il s’agit, et nous n’allons pas appliquer des mesures de précaution à cause de ce qui se passe à 4000 kilomètres d’ici!

À Genève, ce n’est pas en interdisant toute relation entre État et religions que nous pourrons lutter contre d’éventuelles dérives communautaristes ou intégristes. Bien au contraire, je suis fermement persuadée que ce sont des politiques strictes qui auraient toutes les chances de renforcer ces dérives.

S’agissant du voile, puisque le débat se cristallise sur lui, je souhaite faire deux remarques. D’une part, j’insiste toujours sur la capacité d’auto-détermination des gens, et en particulier des femmes, comme élément de leur émancipation. Vouloir protéger les femmes contre elles-mêmes en leur interdisant certaines pièces de vêtement ne me paraît pas contribuer au développement de cette dernière. D’autre part, à partir du moment où on légifère sur les vêtements, on ne s’arrête plus. Nous vivons tou·te·s avec des codes vestimentaires arbitraires, et l’État n’y peut pas grand chose, et n’a pas à s’en mêler.

Les propositions d’interdiction du voile pour les agent·e·s de l’État me semblent donc être une réponse simpliste à un problème qui ne se pose pas.

Notre objectif, à gauche, doit être de construire une société où chacun·e se sente accepté en y occupant une place légitime. Croire, comme ne pas croire, est une liberté fondamentale que nous devons aussi protéger.

Comment articuler ces réflexions et la tradition socialiste de l’anticléricalisme?

Je dirais d’abord que nous ne pouvons pas empêcher les gens de croire en une divinité et de se rassembler pour l’adorer. J’ajouterais ensuite que la distinction entre sphères publique et privée est délicate, car nos appartenances (religieuses ou autres) dépassent la seule sphère privée.

Maintenant, en tant qu’élue, je dois m’assurer que les lois de la république s’appliquent  sans discrimination et de manière égalitaire. Dans le cas d’espèce, il faut notamment garantir que les religions soient traitées de manière identique. S’il est impossible de le faire en étendant nos pratiques actuelles à de nouvelles religions, il faudra peut-être imaginer abandonner lesdites pratiques; je songe en particulier aux impôts ecclésiastiques.

Je crois finalement qu’il faut s’en tenir à des principes assez généraux pour éviter des discussions sans fin. Celles-ci vont surtout contribuer à mettre les gens dans des cases et finir par miner le vivre-ensemble.

Propos recueillis par Antoine Chollet (version courte parue dans Pdg N° 157 juillet – août 2016)

En lien: Pdg N° 102 aoû2 2011 avec un dossier spécial sur « religions et laïcité »

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