Tunisie : les 10 ans d’une révolution politique

Antoine Chollet •

Avec les 10 ans des printemps arabes et de la chute de Zine el-Abidine Ben Ali et de Hosni Moubarak, Pages de gauche republie ce qu’il a écrit à l’époque. En février 2011 (n° 96), Antoine Chollet indiquait qu’avec le soulèvement d’un peuple, le futur s’ouvre et tout devient possible, le meilleur comme le pire…


Les événements tunisiens sont enthousiasmants. Ils sont comme un rappel à nos démocraties endormies de ce que signifie véritablement la souverainté populaire, lorsque le peuple rassemblé reprend le pouvoir qui, de droit, n’appartient qu’à lui. Les Tunisien·ne·s qui occupent depuis des semaines l’espace public nous rappellent aussi que, si l’on sait quand une révolution commence, on ne sait jamais en revanche ni quand ni comment elle va finir. Car une vraie révolution, c’est non du sang qui coule dans les rues ou un palais qui brûle, mais, tout à coup, l’activité politique consciente d’un nombre immense d’individus dont on prétendait, hier encore, qu’ils étaient incapables de se gouverner eux-mêmes.

Alors bien sûr, elle fait peur, cette révolution, car elle rappelle douloureusement à tous les pouvoirs qu’ils ne sont pas à l’abri d’une même remise en question. Ce que les Tunisien·ne·s qui manifestent demandaient, ce n’était pas seulement le départ de Ben Ali ; cela, elles·ils l’ont obtenu et de la plus belle des manières. Non, ce qu’ils réclament surtout, c’est la liberté, tout simplement, et des institutions pour la maintenir vivante.

Lorsqu’un peuple se lève comme c’est le cas en Tunisie, tout devient possible (ce qui signifie aussi bien le pire – comme en Iran en 1979 – que le meilleur), et c’est cela qui terrorise tous les pouvoirs du monde : l’ouverture soudaine du futur.

Que cette révolution ait eu lieu en Tunisie, en terre arabe, est un bonheur supplémentaire pour celles et ceux qui, ici comme là-bas, ont toujours martelé que les populations arabes ne sont pas condamnées à vivre de toute éternité sous le joug de dictateurs sanguinaires de peur qu’elles ne tombent sous la coupe d’obscurantistes « islamistes ». Cette révolution a montré en quelques semaines l’indigence de pareilles analyses, tout en vieillissant d’un seul coup cet « Occident » si fier de ses « valeurs démocratiques », de ses « États de droit » et de ses « déclarations des droits de l’homme ». Elle lui a montré que la démocratie s’exerce par le peuple et pour le peuple, dans la rue lorsqu’il le faut et contre les pouvoirs établis lorsqu’ils sont corrompus. Cette leçon de démocratie est venue de l’autre rive de la Méditerranée, scénario inimaginable hier encore. C’est une irruption politique neuve, imprévisible, virtuose !

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 96 (février 2011).

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