Le genre du capital

Léon de Perrot-Kopilaš •

Dans leur brillante étude, Céline Bessières et Sibylle Gollac, éminentes sociologues françaises, partent d’un constat simple : l’étude des inégalités économiques, qui a connu à partir du tournant du millénaire un bienvenu regain d’intérêt, a largement omis la question des rapports de genre.


Les deux auteures proposent alors une analyse féministe matérialiste des stratégies familiales et juridiques de répartition du capital, c’est-à-dire de la richesse « fixe » détenue par une entité juridique (ménage), qu’il s’agisse de biens monétaires, immobiliers ou autres. Selon la législation française sur l’héritage, déterminée par le Code Napoléon, l’héritage doit être réparti équitablement entre les survivant·e·s, en valeur mais pas en nature. Bessières et Gollac soulèvent alors que dans la majorité des familles, tout milieu social confondu, les actifs dit « productifs », ceux qui génèrent de la richesse après leur transmission, ou ceux auxquels sont attachés une importante valeur sentimentale sont généralement transmis aux hommes, alors que les actifs non productifs, mais de « valeur équivalente » au moment de la transmission, sont légués aux femmes. Ainsi, dans un cas particulier qu’analysent les deux sociologues, le fils reçoit la boulangerie familiale et rembourse la différence à ses sœurs en… pains et croissants.

L’étude de Bessières et Gollac va beaucoup plus loin que les analyses types d’un Piketty ou d’un Stiglitz, considérant avec une méthodologie sérieuse et précise les discours de justification, aussi bien au sein des familles que dans les milieux des professionnel·le·s du droit, ainsi que les différenciations des rapports au droit en fonction des classes sociales d’origine. En bref, une lecture absolument nécessaire pour comprendre une partie très invisible de la construction des inégalités, aussi bien économiques que sociales.

À lire : Céline Bessières, Sibylle Gollac, Le genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, Paris, La Découverte, 2020.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 178 (hiver 2020-2021).

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