Solidarité académique internationale

Stéphanie Pache •

Avec la récente publication de son numéro 179 consacré à la répression et aux résistances en Turquie, Pages de gauche réouvre ses archives et republie des articles liés à la thématique. Ci-dessous, vous trouverez un article de Stéphanie Pache, tiré du numéro 153 de Pages de gauche publié en mars 2016, appelant à une solidarité académique internationale. Çagla Aykac, l’universitaire qui est citée dans l’article est désormais exilée à Genève et active au sein du Comité de Pages de gauche.


Au cours d’une rencontre organisée par le SSP, Çagla Aykac, chercheuse dans une université d’Istanbul, a discuté de la pétition pour la paix signée par près de 2’000 universitaires qui dénoncent l’explosion de la violence en Turquie. La rencontre, qui s’est tenue le 10 février à l’Université de Lausanne, s’est inscrite dans le cadre d’un voyage qui a conduit Çagla Aykac dans plusieurs universités européennes. Objectif: rencontrer des des chercheuses·eurs engagé·e·s, notamment dans des mouvements syndicaux, afin de faire grandir le mouvement pour la paix en Turquie et de créer des réseaux de solidarité avec les universitaires à risque.

Un mouvement pour la paix

La chercheuse est membre du réseau des «Académiciens pour la paix», créé en 2012 lors de grèves de la faim massives
dans les prisons turques. Les membres du réseau ont produit des recherches sur les processus de paix dans différentes parties du monde afin de nourrir le processus de paix en Turquie, officiellement initié en Les élections de juin 2015 ont permis au parti majoritairement kurde (HDP) d’entrer au parlement, ce qui a fait perdre la majorité parlementaire au gouvernement de l’AKP. Les élections ont mené à une montée exponentielle de la violence dans le pays, avec des mesures de contrôle importantes et prolongées comme l’établissement de couvre-feux, appliqués strictement et avec une forte répression (sur tout ceci, voir Pages de gauche n° 150).

La pétition des «Académiciens pour la paix» comprend plusieurs demandes politiques, notamment la levée des couvre-feux, la mise en place de commissions d’enquête sur les violences et les violations des droits humains et le retour immédiat au processus de paix.

La pétition s’adresse au gouvernement turc. L’usage du terme de «massacre», par exemple, a pour but de qualifier une politique étatique extrêmement violente. L’interdiction du transport des blessé·e·s durant les couvre-feux a conduit, par exemple, à des situations au cours desquelles des personnes sont restées bloquées à l’intérieur de leurs maisons avec des blessé·e·s et des cadavres. Cette politique se révèle aussi dans le fait que les missions publiques ne sont plus assumées dans toutes les régions. Il n’y a par exemple plus d’école dans des régions majoritairement kurdes car les enseignant·e·s qui y travaillent sont rappelés.

Réactions et solidarité

Les signataires de la pétition font l’objet d’attaques de toutes sortes. Ils subissent des attaques sur le terrain professionnel, avec des critiques sur leurs compétences. Certain·e·s reçoivent des menaces et des insultes. Certains bureaux ont été marqués par des croix sur la porte. D’autres ont été licenciés immédiatement, d’autres encore subissent des procédures disciplinaires. Les universités ont réagi de façon variable. 33’000 étudiant-e-s ont signé une pétition de soutien aux universitaires. D’autres groupes «pour la paix», de même que les syndicats, ont fait entendre qu’ils «ne prennent pas part à ce crime». Les universitaires en question risquent potentiellement plusieurs années de prison. C’est dans ce contexte que les échanges internationaux se sont développés pour un soutien des universitaires à l’étranger. Il s’agit ainsi de trouver des solutions, à court et moyen terme, pour les universitaires les plus en danger.

L’exposé de Çagla Aykac a été suivi d’une riche discussion. La création de centres de recherches autonomes et d’échanges scientifiques, ainsi que des invitations faites aux chercheurs et chercheuses de Turquie ont été évoquées. Alors que certain·e·s suggèrent de boycotter les événements scientifiques en Turquie, d’autres privilégient la discussion sur ces questions politiques lors de tels événements, et en particulier sur la liberté d’expression et le travail de recherche critique. La syndicalisation apparaît également comme l’une des manières d’organiser des résistances locales et internationales.

Si certains États s’attaquent avec une violence particulière aux universitaires engagé·e·s et critiques, il a été également
souligné que l’indépendance de la recherche, le travail critique et la liberté d’expression sont partout menacés aujourd’hui, notamment dans un contexte de grande précarité des chercheuses et chercheurs. Il s’agit donc de construire globalement et durablement des solidarités pour résister aux multiples offensives qui menacent la qualité de la recherche.

Crédit image : academics par « Katerina Athanasaki » sous licence CC BY-ND 2.0.

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