Réforme française des retraites: «Ce qui est sous-jacent, c’est la place du travail»

Entretien avec Boris Plazzi (Secrétaire confédéral de la CGT)

Le peuple suisse a validé l’année passée par référendum populaire – malgré la vive opposition de l’ensemble des partis de gauche et des syndicats – une hausse de l’âge de la retraite des femmes de 64 à 65 ans. En 2023, c’est la France qui est dans la rue pour tenter de couler un projet de réforme porté par le gouvernement d’Élisabeth Borne consistant principalement en un décalage de l’âge de la retraite de de 62 à 64 ans. Le 7 janvier 2023, soit le jour même de la troisième journée d’action syndicale contre cette loi, Pages de gauche s’est s’entretenu sur le sujet avec Boris Plazzi, qui est Secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail (CGT).


Pouvez-vous décrire en quelques mots le projet de réforme des retraites ?

Globalement, il vise à augmenter – d’ici à 2030 – l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et à avancer à 2027 l’allongement de la durée de cotisations à 43 prévue par la réforme Touraine. En 2014, Marisol Touraine, alors ministre socialiste sous la présidence de François Hollande, avait en effet défendu une loi qui faisait passer d’ici à 2035 la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein de 41,5 à 43 ans.

L’entièreté du mouvement syndical refuse aussi bien le report de l’âge de l’âge que l’accélération de la réforme Touraine. Pour l’instant (le 7 janvier, donc), deux gigantesques mobilisations ont déjà eu lieu: les 19 et 31 janvier. Quant la première journée a fait descendre presque deux millions de salarié·es dans les rues, la deuxième a en rassemblé quasi trois millions. Aujourd’hui, une nouvelle journée de grèves et de manifestations (celle-ci a réuni environ deux millions de personnes) se tient dans l’optique de maintenir la pression sur le gouvernement et les parlementaires, car le projet de loi est en ce moment même discuté à l’Assemblée nationale.

La grande majorité des Français·e interrogée répond ne pas vouloir de cette réforme, car elle dégradera leurs conditions de vie et de travail. L’opinion publique comprend très majoritairement les intentions des grévistes, y compris lors des blocages, et soutient largement le mouvement.

L’objectif de votre syndicat est-il d’articuler un mouvement populaire massif avec des grèves plus dures dans les secteurs les plus syndiqués et dont l’économie du pays dépend le plus ?

C’est exactement ce que nous essayons de faire. Nous offrons, d’une part, la possibilité à tout un·e chacun·e, qu’elle ou il soit syndiqué·e ou pas, conscientisé·e ou pas, de prendre part à de grandes démonstrations de force comme celles du 19 et du 31 janvier. Ces journées d’actions sont pour nous l’occasion de rassembler des catégories qui ne participent quasiment jamais aux grèves ou aux manifestations. Il est difficile de s’imaginer l’ampleur de la mobilisation qu’ont vécue certaines petites villes ; des communes de 15’000 habitant·es ont vu parfois jusqu’à 5’000 manifestant·es se rassembler en leur sein. Pour beaucoup, c’était, de plus, la première qu’elles et ils manifestaient. D’autre part, nous tentons également de généraliser et de reconduire les grèves dans des entreprises ou des secteurs où le syndicalisme, et la CGT en particulier, est fortement implanté. Je pense particulièrement aux raffineries, au rail, aux ports ou encore aux industries électriques et gazières. D’énormes manifestations doivent être conjuguées avec des mobilisations plus dures dans des entreprises sans lesquelles l’économie du pays ne tourne plus. S’il n’y a plus d’essence à mettre dans sa voiture ou de trains qui roulent, il va devenir compliqué de se déplacer et donc de se rendre au travail.

Ces dernières années, rarement les différents syndicats français ont lutté aussi étroitement ensemble. Est-ce que tout est plus simple, lorsque tout le monde tire ensemble sur la même corde?

Incontestablement. La différence est tout simplement énorme. Actuellement toutes les organisations syndicales de salarié·es (soit la CGT, la Confédération française démocratique du travail [CFDT], Force ouvrière [FO], la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres [CFE-CGC], la Confédération française des travailleurs chrétiens [CFTC], l’Union nationale des syndicats autonomes [UNSA], la Fédération syndicale unitaire [FSU] et l’Union syndicale solidaire [SUD]) et de jeunesse (l’Union nationale des étudiants de France [UNEF], La Voix lycéenne [LV], la Fédération des associations générales étudiantes [la FAGE], la Fédération indépendante et démocratique lycéenne [FIDL] et le Mouvement national lycéen [MNL]) sont unies sur un seul et même mot d’ordre, le retrait de la réforme des retraites, et sont toutes d’accord sur les modalités d’action, la grève et la manifestation. Sans l’intersyndical, il n’y aurait pas eu de tel raz-de-marée les 19 et 31 janvier. C’est pour cela que la CGT est vraiment très attentive à consolider une union syndicale qui permet d’avoir une large capacité de mobilisation et de rassemblement du monde du travail. 

Le mouvement d’opposition actuel combat-il également la récente réforme de l’assurance-chômage?

Clairement. Pour la CGT, le gouvernement doit revenir sur la dernière réforme de l’assurance-chômage (qui réduit la durée d’indemnisation de 25%, lorsque le taux de chômage est inférieur à 9% ou s’il ne progresse pas de plus de 0,8 point sur un trimestre), qui est le pendant de celle des retraites. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui un·e Français·e sur deux lorsqu’il liquide ses droits à la retraite n’est déjà plus en emploi. Elle ou il a déjà été viré·e par son l’entreprise, parce que cassé·e par son travail. Avec cette double réforme, des personnes vont se retrouver à 60 ans, ou même avant, sans emploi, mais ni à la retraite ni au chômage. La CGT revendique donc le retrait des deux lois. Maintenant, il n’est pas évident d’aussi mobiliser contre la réforme de l’assurance-chômage, surtout que cette dernière est assez technique. En tout cas, tout le monde a bien compris qu’il n’est pas acceptable de demander autant d’efforts aux personnes actives, retraitées ou privées d’emploi au même moment où les milliards pleuvent sur les entreprises et les actionnaires.

Quelle sont, selon vous, les véritables faiblesses du système de retraite français? Quelles types de réformes alternatives préconiseriez-vous?

La question du financement du système n’est qu’un faux problème. Si les entreprises payaient simplement les cotisations sociales qu’elles devraient, l’enjeu budgétaire n’en serait déjà plus un. Chaque année, le patronat se voit exonérer par l’État de verser plus de 15,7 milliards d’euros de cotisations vieillesse, alors que les besoins en financement s’élèvent 13,5 milliards. Cette somme étant versée sans la moindre condition ou contrepartie, elle constitue un cadeau tout bonnement inacceptable.

Si nous estimons que les modalités de fonctionnement de nos retraites sont très bonnes, elles ont naturellement également leurs imperfections, d’autant plus qu’elles ont été dégradées au fil des années et des réformes. Les femmes sont largement désavantagées par le système actuel, leurs pensions sont en effet en moyenne 40% inférieures à celles des hommes. Les revenus de celles-ci ne sont d’ailleurs pas que plus faibles qu’à la retraite, mais également lorsqu’elles sont en activité. L’écart de rémunération entre femmes et hommes est aujourd’hui toujours de l’ordre de 28%. Résorber les inégalités salariales entre les sexes, permettraient déjà aux femmes de voir leurs retraites augmentées, mais également de faire entrer d’un même mouvement des milliards dans les caisses vieillesses. La pénibilité au travail doit en outre être également reconnue de manière précise et concrète. Un certain nombre de professions abîment lourdement les corps et les esprits. Cet état de fait doit être compensé par la possibilité de prendre sa retraite plus tôt.

Ce qui est sous-jacent, dans cette mobilisation sur les retraites, c’est la place du travail dans nos sociétés. C’est pourquoi, nous revendiquons le retour de la retraite complète à 60 ans tout en donnant la possibilité à celles et ceux qui ont eu des carrières longues et pénibles de liquider leurs retraites avant cet âge-là. L’autre enjeu de cette lutte, c’est de permettre aux plus ancien·ne·s de sortir du monde de l’emploi, afin de laisser de la place aux plus jeunes. De toute façon, il n’est pas acceptable d’observer sans réagir à l’explosion de l’intensité du travail et des profits réalisés.

Propos recueillis par Joakim Martins

Crédit image: Force ouvrière sur Flickr.

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