Réforme de l’OCDE: le lamentable gâchis

Léo Tinguely •

Transformer ce qui aurait dû être une avancée sociale et égalitaire en un nouvel instrument de concurrence et de dumping fiscal, voilà le tour de force réalisé par Ueli Maurer et la droite du Parlement fédéral. Si le projet de l’OCDE et l’instauration d’un taux d’imposition minimal de 15% pour les multinationales sont plus que bienvenus, son application suisse est désastreuse.


Fin 2021, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 annoncent la conclusion d’un accord définitif, ratifié par 136 pays dont la Suisse, portant sur l’instauration d’un impôt minimum de 15% pour les grands groupes d’entreprises actifs à l’échelle internationale. Nous sommes alors en pleine affaire Pandora Papers et on se dit que cet accord permettrait à la Suisse de cesser de se couvrir de honte et à sa place économique de ne plus faire figure de pique-assiette de la finance mondiale. Même si l’on est bien loin du seuil des 22% qui avait pu être évoqué en amont des négociations, la droite helvétique s’étrangle. De façon toujours aussi grotesque, elle interprète l’accord comme la volonté de certains États de s’attaquer, par pure jalousie, à la réussite du modèle suisse. Seulement, moins de deux ans plus tard, c’est cette même droite qui est devenue le porte-voix de la mise en application de cet engagement et la gauche qui désormais le combat.

Un projet irresponsable

Car la mise en œuvre de la réforme, à savoir la répartition ainsi que la future utilisation des nouvelles recettes qu’elle générerait, s’avère en tout point désastreuse. 75% d’entre elles resteront en main des cantons et seront distribués entre eux de façon hautement inégalitaire. Seuls les cantons les plus riches, qui disposent de nombreuses multinationales se voyant jusqu’à l’heure offrir des taux d’imposition indécents, verront leurs recettes exploser et profiteront de la réforme. Concrètement, il ne s’agit là que de Zoug et Bâle-Ville. Selon le bureau de conseil bâlois BSS, le canton de Genève ne devrait gagner que 100’000 francs supplémentaires par année et donc recevoir 9’716 fois moins par personne que celui de Zoug. Dans ce dernier qui héberge notamment Glencore ou Holcim, on se frotte les mains. Des baisses d’impôts pour les plus riches ont d’ores et déjà et annoncées et on explore désormais tout un éventail de mesures, à commencer par les désormais courantes cessations de terrains, pour attirer de nouvelles entreprises. Alors qu’elle aurait pu et dû la réduire, la mise en œuvre de la réforme ne fera qu’intensifier la spirale sans fin de la concurrence fiscale entre cantons.

Quant à la part fédérale (25% des recettes), elle ne pourra être utilisée qu’à des fins de promotion économique. Alors que les primes maladie prennent l’ascenseur, que le prix des loyers flambe ou encore que la transition écologique nécessite des investissements massifs, les besoins de la population se voient ignorés. S’il est vrai qu’une partie des recettes perçue par la Confédération et les cantons sera redistribuée aux cantons perdants grâce à la péréquation financière, non seulement ce mécanisme ne compensera que très partiellement ces inégalités, mais il n’interviendra que des années plus tard. Ce qui laissera tout loisir aux rares cantons bénéficiaires de la réforme de les dépenser à leur guise dans des cadeaux fiscaux.

Une autre réforme est possible

En cas de refus, le Conseil fédéral et le Parlement seraient contraints de revoir leur copie et le peuple d’adopter un autre projet. Une solution bien plus équilibrée reviendrait à introduire une répartition plus égalitaire des recettes, augmenter la part de la Confédération, à investir dans des domaines urgents et profitant à l’ensemble de la population. Pour tenter de convaincre, ou plutôt de passer en force, Karin Keller-Sutter souligne fréquemment qu’en cas d’absence de loi d’application, la Suisse se priverait de recettes. En effet, ce serait en lieu et place de la Suisse, les États où les multinationales possèdent des filiales qui pourraient percevoir la différence entre les taux d’imposition cantonaux et le taux de 15%. Cependant, il est évident qu’il vaille mieux faire l’impasse une année ou deux sur des recettes dont la population ne verrait de toute manière pas la couleur, plutôt que de renforcer durablement un système fiscal déjà profondément inégalitaire.

Dans une campagne mal emmanchée (les sondages prédisant un oui clair), il est regrettable de ne pas pouvoir compter sur les Vert·e·s. Face à la prétendue difficulté d’expliquer leur position à la population, celles et ceux-ci ont manqué de courage politique et décréter la liberté de vote. Les configurations politiques ont pourtant déjà été plus mauvaises, on se souvient de projets où la gauche défendait — certes pour des raisons différentes — la même position que l’UDC. En plus de s’avérer inconséquente, la décision des écologistes, dont les élu·e·s aux Chambres fédérales avaient pourtant refusé le projet, relativise totalement les enjeux de la votation. Du côté du PS, le scénario aurait pu être identique, mais la base a désavoué son Conseil de parti en votant un non ferme. Les chances de victoire sont maigres, il est donc urgent de marteler la différence entre une réforme souhaitable et une application catastrophique.

Crédit image: Ashim D’Silva sur Unsplash.

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