La rédaction •
Avec la publication du numéro 187 de Pages de gauche dont le dossier est consacré à la gauche et l’antisémitisme, Pdg publie en libre-accès la conclusion de ce dernier afin d’en donner un aperçu. Pour recevoir le numéro en entier et soutenir une presse de gauche indépendante, abonnez-vous!
La gauche ne peut pas fermer les yeux devant les manifestations d’antisémitisme, ni celles qui réapparaissent régulièrement dans la société, ni celles qui émanent de ses propres rangs.
Les premières ne sont jamais anodines. Elles s’inscrivent dans une vieille rhétorique du «complot juif mondial» qui a trouvé ces dernières années des relais puissants dans toutes les théories conspirationnistes, des attentats du 11 septembre au Covid, en passant par la non-réélection de Donald Trump. Il ne faut jamais oublier qu’elles préparent le terrain à des actes violents à l’égard de la communauté juive. Derrière les délires antisémites se logent toujours d’autres formes de racisme, comme l’extrême droite le montre chaque jour avec une belle constance: être antisémite ne prémunit pas de détester les Arabes, les Noir·e·s ou les Chinois·e·s, bien au contraire.
Que de telles élucubrations puissent exister au sein même des organisations de gauche ne doit pas moins nous alerter. Elles peuvent être le résultat d’une personnalisation absurde visant à identifier les «responsables» de la prédation capitaliste sur le monde, entretenant l’idée non moins absurde d’une économie de marché débarrassée de ses supposés éléments «parasites» ou d’un capitalisme sans dommages collatéraux. Peut-être que l’abandon par de nombreuses organisations de gauche d’un souci minimal de formation politique de leurs membres explique pour partie l’attrait que de pareilles «analyses» exercent régulièrement (on peut songer par exemple à l’intérêt porté par certain·e·s à gauche aux imbécillités de Myret Zaki ou de Michel Collon, pour ne prendre que deux exemples parmi beaucoup d’autres).
L’absence de formation n’explique cependant pas tout, car l’on trouve aussi à gauche des personnes dont l’engagement a comme point de départ une forme de haine à l’égard de celles et ceux qui sont supposés profiter plus pleinement des richesses produites par la société. Cet affect, rigoureusement opposé à celui qui repose sur la solidarité et l’entraide et qui vise à mettre fin aux inégalités, conduit sans trop de mal à l’antisémitisme une fois raccordé au stéréotype faisant des Juif·ve·s «les maîtres de la finance mondiale». Dans ces cas-là, il faut dire très clairement que de telles personnes n’ont strictement rien à faire dans des organisations de gauche et les exclure séance tenante.
S’agissant des critiques à l’égard de la politique israélienne, le problème est moins compliqué qu’il n’y paraît à première vue. Il suffit en fait de suivre le principe habituel à chaque fois que l’on discute de la politique d’un autre pays: prendre connaissance des prises de position de la gauche locale. Dans le cas d’espèce, on s’apercevra que celle-ci ne se gêne pas pour critiquer de manière très virulente la politique des différents gouvernements israéliens, en particulier du dernier d’entre eux évidemment, sans que ces dénonciations reposent d’une quelconque manière sur une analyse antisémite du conflit israélo-palestinien.
On conclura en rappelant que la gauche helvétique a aussi une responsabilité particulière sur le sujet puisqu’il existe une longue et forte tradition antisémite en Suisse, dont les législations du XIXe siècle portent la trace, tout comme l’attitude abjecte des autorités à l’égard du IIIe Reich avant et durant la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi au cœur même de la tradition antifasciste, qu’il faut de toute urgence réactualiser aujourd’hui, que se situe le combat contre l’antisémitisme.
Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 187 (printemps 2023).