«Prochain étage!»

Joakim Martins •


Next Floor est un court métrage de douze minutes, ne contenant pas le moindre dialogue, produit par le réalisateur québécois Denis Villeneuve. La fiction, qui a inspiré La Plateforme (voir la chronique qui a été consacrée à cette série sur notre site Internet), débute dans une pièce dans laquelle sont assis·e·s autour d’une table de richissimes convives servi·e·s par une armée de domestiques. Dès que ces dernières·iers servent le repas, ces premières·iers se ruent littéralement dessus et l’engloutissent. Au fur et à mesure que la tablée se nourrit de manière effrénée et outrancière, le plancher se craquelle de plus en plus. De but en blanc, le sol s’effondre, faisant ainsi tomber les convives à l’étage inférieur. Tout en restant de marbre, le majordome pousse un « Next Floor! » dans un interphone et descend, ses employé·e·s à sa suite, d’un étage pour continuer son service. Les convives disposé·e·s toujours autour de la même table, mais un étage plus bas, se font alors épousseter et resservir. Après une brève hésitation, toute la tablée gloutonne derechef. La même séquence – goinfrerie, effondrement, chute d’un étage – se produit plusieurs fois d’affilée; les plats devenant toutefois de plus en plus rares à mesure que les convives s’enfoncent dans l’immeuble. Soudain, l’écroulement du sol déclenche une réaction en chaîne. Les convives et la table s’enfoncent alors dans une brèche de plus en plus sombre en même temps que les planchers cèdent…

Next Floor prend tout son sens lorsqu’une grille d’analyse marxiste lui est appliquée. Les domestiques peuvent être rattaché·e·s à un prolétariat servant docilement des convives bourgeois·e·s s’engraissant éperdument. S’inscrivant dans une logique d’accumulation capitaliste, les convives consomment de manière particulièrement odieuse les ressources de plus en plus précieuses mises à leur disposition par leurs serveuses·eurs. La classe ouvrière, désorganisée, observe, sans agir, la bourgeoisie provoquant des crises successives ne pouvant la mener qu’à sa perte. La morale de la fable de Villeneuve est, à n’en pas douter, la suivante: «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!».

À voir en libre accès notamment ici.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 178 (hiver 2020-2021).

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