Petit manuel d’émancipation linguistique

Cora Antonioli •


Le français est à nous!, rédigé par Maria Candela et Laélia Véron, nous offre un «manuel d’émancipation linguistique» enthousiasmant de pertinence et d’impertinence(s). Il permet notamment de casser des idées reçues sur la langue comme: le français est menacé, entre autres à cause des langages SMS ou inclusif, de l’anglais ou de l’arabe; le dictionnaire est l’unique référence pour savoir qu’un mot existe; la grammaire «usuelle» n’a rien d’arbitraire ni d’idéologique; l’Académie française est légitime et composée de gens compétents…

Les deux autrices (voir chapitre 4 au sujet de l’histoire de ce mot, quasi disparu au XVIIe siècle à la suite d’interventions masculinistes) nous donnent ainsi des arguments solides pour contrer celle ou celui qui, potentiellement réactionnaire, tremble de voir «la» langue disparaître ou, pire, qui, au nom de cette langue, rabaisse celle ou celui qui ne la maîtriserait pas «comme il se doit», ou, selon ce prétexte, s’octroierait le seul droit à la parole.

Mais le côté le plus réjouissant de ce livre, en terme de perspectives de gauche, c’est qu’il fait de «la» langue française, parallèlement aux batailles menées dans d’autres domaines, un véritable objet et moyen de lutte, visant à déposséder les élites de la langue; langue qu’elles ont imposée, avec les représentations et la vision du monde qu’elle véhicule; fragilisant, infériorisant ou excluant ainsi celle ou celui qui ne veut, mais, plus souvent, ne peut s’y conformer.

La langue est politique et les choix qui ont mené et mènent à déterminer, limiter voire figer sa grammaire, son orthographe, à se saisir des mots, chargés de «violence symbolique», sont aussi le reflet et la conséquence des rapports de domination. C’est ainsi que les autrices nous incitent, si possible collectivement, à (continuer à) faire de la langue une arme pour changer le monde.

«Il n’y a pas de temps pour le désespoir, pas de place pour l’apitoiement sur soi, pas besoin de silence, pas de place pour la peur. Nous parlons, nous écrivons, nous faisons du langage. C’est ainsi que les civilisations guérissent» (Toni Morrison).

À lire : Maria Candela, Laélia Véron, Le français est à nous!, Paris, La Découverte, 2019.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 175 (printemps 2020).

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