Monique Wittig, icône féministe lesbienne

Léonore Vuissoz •

En 2023, nous rendons femmage à Monique Wittig (1935-2003) pour les vingt ans de la mort de la théoricienne, romancière et essayiste d’origine française dont les écrits féministes raisonnent encore tant aujourd’hui. Grande militante et pionnière du Mouvement de libération des femmes (MLF), Wittig sort il y a tout juste 50 ans son troisième ouvrage Le Corps lesbien, une de ses œuvres les plus connues qui transgresse les genres littéraires et théorise le lesbianisme comme projet indispensable à la remise en question de l’hétérosexualité comme régime politique contraignant qui asservit les femmes. En développant le point de vue lesbien dans ses écrits, l’ambition de l’autrice – révolutionnaire à l’époque, comme aujourd’hui – n’est pas tant de féminiser le monde, comme elle en parle dans son ouvrage théorique Le Chantier littéraire, mais de le penser au-delà des catégories binaires de sexe et de genre qui sont un système contribuant également à enfermer les femmes dans une classe dominée. Une démarche qui l’accompagne tout au long de sa carrière, et qu’on observe déjà dans

L’Opoponax, son premier roman récompensé par le prix Médicis qui raconte l’histoire de vie d’une petite fille en utilisant le pronom indéfini « on » pour dénoncer entre autres les catégorisations de genre dans l’apprentissage de l’enfance et de la sexualité.

Les lesbiennes ne sont pas des femmes !

Écartée pour des différends idéologiques du MLF français qu’elle a co-fondé – notamment parce qu’elle incarne une critique de l’hégémonie hétéroféminine du mouvement et se bat pour dénoncer l’homophobie de nombreuses militantes avec la création du collectif politique parisien des Gouines rouges qui fait scandale –, Monique Wittig s’exile aux États-Unis en 1976 où elle continuera de publier en anglais. En 1978, Wittig déclare lors d’une conférence à New York intitulée The Straight Mind – qui donnera naissance à l’ouvrage du même titre — que « les lesbiennes ne sont pas des femmes » et sont d’ailleurs une figure importante de remise en question du système hétéropatriarcal parce qu’elles s’inscrivent au-delà de la division sociale des sexes et ne sont pas directement engagées dans des échanges politiques et économiques hétérosexuels. En mettant en avant la sexualité lesbienne non pas comme une simple orientation sexuelle mais comme une identité révolutionnaire, Wittig provoque une rupture épistémologique avec les recherches féministes de l’époque, influence nombre de penseurs·euses comme Judith Butler et inspire jusqu’à la théorisation des études gaies, lesbiennes et queer.

Précurseure du lesbianisme politique radical, Wittig est aussi une icône incontournable du féminisme matérialiste qui peine à être réhabilitée dans le monde francophone faute de visibilisation et de retard dans la traduction de ses ouvrages. Elle laisse pourtant derrière elle une œuvre gigantesque à (re)découvrir absolument en cette année 2023.

À lire:

Pour aller plus loin: site web consacré à Monique Wittig.

Cet article est parus dans Pages de gauche no 187 (printemps 2023).

antoine_chollet