« Moi, j’adore les femmes de couleur »

Entretien avec Olga Madjinodji •

Olga Madjinodji est une Biennoise de 32 ans qui a fondé récemment un collectif afroféministe à Bienne. Elle travaille comme conseillère pour requérant·e·s d’asile au centre fédéral de Boudry et ponctuellement comme médiatrice culturelle dans des musées. Nous l’avons rencontrée pour en apprendre plus sur les liens multiples entre racialisation et sexualisation, en particulier pour les femmes afrodescendantes.


Peux-tu nous dire ce qui t’a amenée à cofonder un collectif afroféministe à Bienne et ton rôle dans ce collectif ?

Le Collectif Afroféministe Biel-Bienne Afrofeministiches Kollektiv, plus simplement appelé CABBAK, est né l’année dernière dans le cadre d’une soirée afroféministe organisée par le nouveau musée pour Bienne. Au cours de la discussion, nous nous sommes rendues compte qu’il y avait une forte invisibilisation des femmes noires sur le plan médiatique ou professionnel à Bienne et en Suisse et que beaucoup de stéréotypes étaient encore associés aux femmes noires. J’ai eu le besoin de faire plus en cofondant CABBAK qui compte actuellement une quinzaine de personnes. Nous réfléchissons actuellement aux activités et aux actions que nous allons faire.

À quoi pensez-vous comme actions ?

Ayant toutes été confrontées au racisme et au sexisme à l’école, nous voulons nous concentrer sur des activités visant l’éducation des enfants et des adolescent·e·s. Nous avons aussi réalisé qu’il y a de graves lacunes dans le programme scolaire, en particulier pour ce qui concerne l’héritage colonial suisse. Nous réfléchissons à la manière d’interpeler les autorités sur ce type de questions, car il y a beaucoup d’ignorance sur ce sujet. Cependant, le mouvement Black Lives Matter a créé une certaine prise de conscience même en Suisse, et il me semble que les gens sont plus réceptifs à ces thématiques.

Les femmes afrodescendantes sont-elles affectées différemment par le sexisme et en quoi consiste cette différence ?

Nous concernant très spécifiquement, il y a notamment les remarques et les représentations sur nos traits physiques tels que les cheveux crépus ou les lèvres charnues. Nous vivons le sexisme simultanément avec le racisme ce qui se traduit par le concept de misogynoir. Un exemple : pour un entretien d’embauche où l’annonce indique « apparence soignée » une femme noire ne se sentira pas à l’aise d’y aller avec une coupe afro, car l’imaginaire projette des cheveux raides pour les femmes avec une apparence soignée. Il est très rare de voir des personnes à hautes responsabilités avec leur afro. Ceux et celles qui portent une afro vont rapidement être renvoyés à quelque chose de sauvage et d’exotique alors qu’il s’agit simplement nos cheveux ! Beaucoup de personnes n’en ont pas conscience et cela transparaît notamment au travers de remarques qui peuvent paraître « gentilles », mais qui pour nous sont des micro-agressions. Par exemple, le fait de nous dire « tu es belle comme une gazelle » est choquant. Pourquoi nous comparer à des animaux et pourquoi nous renvoyer à quelque chose d’exotique ?

Ça me fait penser au concept de « fétichisation sexuelle raciste » : peux-tu nous dire ce que c’est et à quelle réalité ce concept renvoie ?

C’est un concept qui renvoie aux relations amoureuses (ou de séduction), mais qui est difficile à aborder sans froisser les personnes concerné·e·s. La fétichisation sexuelle raciste apparaît lorsqu’un certain imaginaire sexuel est projeté sur le corps des femmes noires (p.ex. qu’elles seraient très compétentes au lit) – et génère une attirance. En particulier cela arrive lorsque certaines personnes blanches veulent avoir une relation avec une personne noire parce que celle-ci est noire et non pas en raison de sa personnalité. Déjà vers l’âge de 14 ans dans la rue, j’ai été abordée par de vieux hommes blancs qui me disaient « Moi, j’adore les femmes de couleur ». Ça peut sembler être un compliment à première vue, mais ça ne l’est pas du tout, car nous souhaitons être aimées pour ce que nous sommes et pas pour des imaginaires projetés sur nous. Cet exemple révèle aussi le problème de l’hypersexualisation précoce de femmes, un phénomène qui touche particulièrement les femmes noires.

Toutes ces petites phrases ont des impacts très concrets sur la confiance en soi et sur le rapport avec les hommes. Dans le collectif, nous avons toutes déjà vécu des remarques similaires. Ce n’est pas facile de se détacher de cet imaginaire.

Propos recueillis par Hervé Roquet.

Cet entretien est paru dans Pages de gauche n° 177 (automne 2020). Pour prolonger cette réflexion, on pourra lire également le dossier paru dans Pages de gauche n° 155 (mai 2016).

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