Riad Sattouf en quête d’identité dans L’Arabe du futur vol.5

Léo Tinguely •

Après deux ans d’absence, Riad Sattouf revenait en novembre dernier avec le cinquième volume de sa série de bande dessinée autobiographique l’Arabe du futur. Dans un épisode triste et mélancolique se déroulant pour la première fois intégralement en France, on y retrouve la famille désormais disloquée de Riad juste après l’enlèvement de son plus jeune frère Fadi par son père, reparti vivre avec lui en Syrie dans son petit village natal de Ter Malleh.


Le tome de la rupture

Ce tragique événement fera bien entendu office de rupture au sein d’une famille dont l’équilibre ne tenait déjà depuis longtemps plus qu’à un fil. Petit à petit et à travers les yeux de Riad, on sentait le couple Sattouf se fracturer, le ton du père à l’égard de sa femme devenant toujours plus dur et dominateur, alors que ses décisions, comme celle de s’envoler du jour au lendemain pour l’Arabie Saoudite, nous paraissaient toujours plus extravagantes et excentriques. De même, ses longues et élogieuses tirades à l’égard de Mouammar Kadhafi, Hafez el-Assad ou Saddam Hussein tout comme ses propos acerbes et racistes à l’encontre des Français·es, Juives·fs, Maghrébin·e·s et plus dernièrement des mécréant·e·s se faisaient toujours plus insupportables.

Ce volume, sur lequel l’âme du père plane sur Riad comme celle d’un fantôme, donne plus de profondeur au personnage de la mère aux origines bretonnes, qui malgré quelques choix forts, fut souvent par le passé relégué au rôle de simple spectatrice. Après le désespoir, c’est à la colère et à la détermination de retrouver son fils qu’elle cède. Lettre à Danièle Mitterrand, séance de voyance, contact à l’émission Perdu de vue, pèlerinage à Lourdes ou incessants appels aux autorités ; Clémentine Sattouf placera vainement toute son énergie dans ses tentatives de retrouver son fils disparu.

Un Riad en plein flou identitaire

Plus que tout, ce dernier volume nous narre le quotidien d’un Riad en pleine adolescence en insistant, grâce notamment à son lot de péripéties amoureuses, sur son enjeu le plus universel et complexe, celui de la construction identitaire. Riad n’est pas bien dans sa peau. Lui qui se rêvait avec les muscles de Conan le Barbare et la coiffure de Tom Cruise, il est petit, frêle et voûté. À son grand dam, ses cheveux ne sont plus blonds et frisés, mais châtains et hirsutes. Si physiquement il ressemble de plus en plus à son père, il n’aura pourtant jamais paru si loin de l’image de l’Arabe du futur, moderne et libéral, que ce dernier appelait de ses vœux. Riad a complètement oublié son arabe, il ne s’intéresse absolument pas au Coran et n’a aucunement la volonté de devenir docteur. À l’école, il ne fait pas partie du groupe des « dominants ». Il est un Arabe pour les garçons de sa classe qui se moquent de son nom de famille et un Français pour les jeunes Arabes qui le terrorisent dans la rue. Ce tiraillement entre deux origines et deux cultures antagonistes, Riad le retrouvera évidemment au sein de sa famille, mais également dans sa tête où résonnent les voix de ses cousins syriens, qui lui rappellent constamment ses péchés et ses pratiques contraires à la tradition arabe. Dans ce flou identitaire, Riad parviendra à nouer quelques repères : les bandes dessinées de Billal, Moebius et Druillet, le rock grunge de Nirvana et les romans de Lovecraft.

Des critiques habiles et nuancées

À l’aube d’une nouvelle votation sur une énième initiative islamophobe de l’UDC et alors qu’il règne en France un climat tendu et plus que jamais hostile à la population musulmane, Riad Sattouf avance en terrain délicat. Il en est parfaitement conscient et sa plume et son dessin s’avèrent tout autant habiles qu’intelligents. Lorsque par le passé celui-ci dénonçait ses conditions de vie en Syrie, à l’image de sa circoncision réalisée avec un canif sale et sans anesthésie, il le faisait toujours avec nuance et une certaine innocence propre à l’enfance. Sans complaisance et sans langue de bois, on est pourtant loin du règlement de compte ou du jugement de valeur. Dans le tableau qu’il dresse, la France n’est d’ailleurs pas en reste et l’auteur dénonce, sous d’autres formes et par d’autres pratiques, une violence, un racisme et un patriarcat tout aussi présent et dégoûtant. Ainsi, si son père syrien multiplie les injonctions à la virilité, son grand-père français n’a qu’une seule crainte : que Riad soit « pédé ». De même, la cruauté et la violence des enfants se retrouvera tout autant, si ce n’est plus, dans les écoles françaises. Dans la lignée de la série, le regard que Riad Sattouf pose cette fois-ci sur la France s’avère toujours autant poétique et drôle et le résultat aussi émouvant que divertissant.

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