Entretien avec Michela Bovolenta (secrétaire centrale du SSP) •
Alors que le peuple suisse se prononcera par référendum le 25 septembre 2022 sur la contre-réforme AVS 21, le Syndicat des services publics (SSP) a récemment révélé que les comptes de l’Assurance-vieillesse et survivants ont été bouclés en 2021 sur un confortable bénéfice de 2,6 milliards de francs. Pour mieux comprendre l’enjeu de cette annonce, nous avons posé quelques questions à Michela Bovolenta, secrétaire centrale du SSP.
Quel est l’état actuel des comptes de l’AVS ?
Contrairement à toutes les prévisions catastrophistes, les comptes de l’AVS sont dans le noir. Le 1er juin, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a publié les résultats de l’AVS pour 2021: l’AVS a clos l’exercice 2021 avec un résultat de répartition de plus 0,9 milliard de francs. Si on y ajoute le produit des placements, l’excédent est de 2,6 milliards de francs. La fortune de l’AVS se monte à 49,7 milliards de francs, ce qui correspond à 105,8 % des dépenses d’une année[1]. On est loin de la catastrophe annoncée. D’autant que déjà en 2020, l’AVS avait enregistré un excédent de 1,9 milliard de francs.
Quelles sont les perspectives à long terme d’évolution du financement de l’AVS?
Selon les dernières perspectives financières de l’OFAS, l’AVS aurait besoin d’un financement additionnel de 4,7 milliards de francs en 2032. En tenant compte des revenus de la fortune de l’AVS, ce montant est même réduit à 3,7 milliards. Cette prévision pessimiste doit toutefois être relativisée.
D’abord, toutes les perspectives catastrophistes du passé ont été démenties par les faits. En 2011, le Conseil fédéral prévoyait que «vers 2020, la fortune de l’AVS commencera à fondre de plus en plus vite. On prévoit ainsi que vers le milieu de la prochaine décennie les liquidités du Fonds de compensation de l’AVS seront inférieures à 50% des dépenses d’une année»[2]. Or, en 2020, la fortune de l’AVS se montait à 47 milliards de francs, soit à 102,6% des dépenses annuelles. L’effondrement annoncé n’a pas eu lieu.
Ensuite, même si on prenait ces perspectives pour de l’argent comptant, d’après les calculs de l’OFAS lui-même, il suffirait d’une hausse de cotisation de 1% pour engranger 4,7 milliards de cotisations supplémentaires et colmater la brèche annoncée pour 2032. Pour un salaire de 5’000 francs, cela correspond à 25 francs par mois pour l’employé·e et à autant pour l’employeur. C’est un montant vraiment modeste qui prouve bien que le financement de l’AVS n’est pas un souci.
Pourquoi les soi-disant déficits du premier pilier sont-ils si souvent mis en avant?
Ils servent à justifier des mesures de régression sociale qui sont impopulaires, car nuisibles à la qualité de vie de la majorité de la population. N’oublions pas que nous en sommes à la troisième votation sur l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes. La 11e révision de l’AVS a échoué en votation populaire en 2004, puis en 2010, le Parlement fédéral a enterré un nouveau projet de 11e révision de l’AVS-BIS. Et en 2017, c’est le projet de Prévoyance vieillesse 2020 (PV 2020), qui a été refusé en votation populaire.
Justifier l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes par l’égalité n’est pas crédible puisque tout le monde peut voir la mollesse avec laquelle les autorités politiques combattent les inégalités salariales ou les violences sexistes et sexuelles. Et l’argument du vieillissement de population ne prend du sens que si on fait croire à la population que nous n’avons pas les moyens de financer les retraites plus longtemps.
Pourquoi AVS21 doit-il être combattu dans les urnes?
Déjà parce que la majorité du peuple a dit deux fois non à la hausse de l’âge de la retraite des femmes. On s’attend d’un parlement élu qu’il tienne compte de l’avis de la population et qu’il fasse preuve d’un peu d’imagination pour proposer autre chose. Et parce que ce non ne vient pas de nulle part. Il est ancré dans une réalité sociale, dans le vécu des gens, dans l’expérience des salarié·e·s. Le monde du travail devient de plus en plus concurrentiel, la pression à la performance augmente, les rythmes de travail s’intensifient: les problèmes de santé, les burnouts, le chômage de longue durée touchent davantage les salarié·e·s de 50 ans et plus et dans nombre de secteurs comme la santé, il est difficile de rester en emploi après 60 ans.
Ensuite il est légitime d’aspirer à quelques années de retraite en bonne santé après une vie de labeur. Augmenter l’âge de la retraite c’est réduire cette période pour toutes celles qui ont des petites rentes et qui ne peuvent pas se permettre une préretraite, contrairement à celles, et surtout à ceux, qui ont eu de hauts salaires et peuvent choisir de partir avant.
Enfin, les jeunes aspirent à travailler moins professionnellement pour avoir davantage de temps et réduire l’impact de l’actuelle logique productiviste sur le climat. Augmenter l’âge de la retraite va à l’encontre de cette tendance. D’autant que la droite ne s’en cache pas: AVS 21 n’est que le premier pas : son but est la retraite à 66 ou 67 ans pour tout le monde.
Quelles réformes mettre en œuvre pour renforcer l’AVS et même augmenter les rentes?
Augmenter les rentes est une priorité. L’initiative de l’USS pour une 13e rente est un premier pas. Mais ce n’est pas suffisant. D’après la Constitution fédérale, la rente du premier pilier doit assurer le minimum vital, celle du 2e pilier doit permettre de maintenir le niveau de vie. Aujourd’hui, ces objectifs constitutionnels ne sont pas remplis. La rente AVS se situe entre 1195 et 2390 francs par mois pour une personne seule, avec une rente moyenne de 1800 francs. Selon les normes de la Conférence suisse des Institutions d’aide sociale (CSIAS), le seuil de pauvreté pour une personne seule est de 2740 francs par mois. Même la rente AVS maximale est en dessous de ce seuil. Or, aujourd’hui encore, un quart des femmes n’a que l’AVS pour vivre, et la moitié de celles qui ont une rente du 2e pilier touche moins de 1000 francs par mois[3].
Améliorer la situation des femmes à la retraite, ainsi que de toutes les personnes qui assument des tâches domestiques éducatives et de soins, indépendamment de leur genre, est aussi une réforme nécessaire. Il faudrait pour cela élargir la notion de bonus éducatif et d’assistance des personnes actives, mais aussi reconnaître l’énorme travail non rémunéré assuré par les retraité·e·s, en particulier par les femmes. Enfin, la rente devrait être indépendante de l’état civil et, plutôt que plafonner la rente de couple, il faudrait prévoir un supplément pour les personnes seules qu’elles soient célibataires, divorcées ou veuves.
Nous pouvons sans problème financer ce renforcement du 1er pilier tant par une hausse des cotisations que par d’autres sources, comme le propose notamment l’initiative sur les bénéfices de la BNS que l’USS vient de lancer.
Propos recueillis par Joakim Martins.
[1] https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/ahv/finanzen-ahv.html
[2] https://www.admin.ch/gov/fr/start/dokumentation/medienmitteilungen.msg-id-38960.html
[3] https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/securite-sociale/rapports-prevoyance-vieillesse/statististique-nouvelles-rentes.html
Cet article a été publié en version courte dans Pages de gauche n° 184 (printemps 2022).
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