10 ans de Printemps érable

Entretien avec Arnaud Theurillat-Cloutier •

Dans l’optique de commémorer les 10 ans du Printemps érable, Page de gauche s’est entretenu avec Arnaud Theurillat-Cloutier qui était de passage en Suisse. Il est actuellement doctorant en sociologie et enseignant en philosophie dans un collège. Très impliqué lors de la grève étudiante de 2012 au sein l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ), il a publié à ce sujet Printemps de force en 2017. Il a par ailleurs récemment corédigé chez écosociété Pour une écologie du 99%. 20 mythes à déboulonner sur le capitalisme dont vous retrouverez sous l’entretien un compte rendu issu de notre numéro 184.


Qu’entend-on par l’expression «Printemps érable»?

L’expression «Printemps érable» est née pendant la grève étudiante de 2012. La première occurrence provient de l’école de la Montagne rouge qui est un collectif d’artistes et de designers de l’UQAM (l’Université du Québec à Montréal) forgé pendant la mobilisation. Il a été très reconnu pour ses innombrables affiches qui ont énormément marqué l’imaginaire iconographique du mouvement. Justement sur l’une de ces dernières était inscrit «Printemps érable». L’expression est restée pour plusieurs raisons. D’une part, c’était un clin d’œil aux Printemps arabes qui avaient débuté au Moyen-Orient en 2011. D’autre part, le mot «érable» rappelait l’essence qui est très ancrée dans la tradition culinaire et culturelle du Québec. C’était bien évidemment aussi une référence plus large aux Printemps des peuples de 1848. Le terme permettait donc d’insérer cette mobilisation dans une série de mouvements de masses démocratiques visant à une plus grande égalité sociale.

Si au départ, on parle bien d’une grève étudiante, celle-ci est peu à peu devenue le Printemps érable. Le mouvement s’est élargi en particulier à la suite à l’imposition de la loi spéciale 78 (qui obligent les enseignant·e·s à dispenser leurs leçons, interdit aux syndicats d’entraver le déroulement de ces dernières et rend illégale toute manifestation à moins de 50 mètres d’un établissement) et s’est transformé en une contestation sociale dépassant largement le monde académique.

Comment le mouvement s’est-il déroulé?

Il s’agissait tout d’abord d’une grève étudiante ayant démarrée autour du 13 février 2012, mais qui avait été longuement planifiée depuis au moins deux ans. Cette mobilisation s’opposait à la hausse des frais de scolarité (de 2’168 dollars canadiens à 3’793) votée par le gouvernement libéral de Jean Charest (2003-2012). Cette augmentation s’inscrivait dans un ensemble de politiques d’austérité qu’ont connu le Québec et l’Occident en général après la crise économique de 2008. Dans notre province, cela s’est principalement traduit par des mesures de tarification visant à transformer radicalement les finances publiques. D’un financement reposant principalement sur l’impôt progressif, l’objectif était de passer à des formes de taxation régressives ne prenant pas en compte la capacité de payer des contribuables.

Ce fort renchérissement des taxes d’étude suivait une hausse déjà décrétée par le gouvernement Charest en 2007 (de 1’668 dollars canadiens à 2’168) qui n’avait malheureusement pas pu être repoussée par le mouvement étudiant. Ce dernier s’était montré incapable de monter une grève victorieuse contre cette première augmentation depuis 1994.

La contestation étudiante de 2012 a été en grande partie préparée par l’ASSÉ (l’Association pour une solidarité syndicale étudiante) qui s’était fait connaître en 2005 par une grève concernant les prêts et bourses. La grève générale illimitée de 2012 a été précédée par une longue escalade des moyens de pression comprenant notamment des manifestations, des occupations de bureaux de ministres, des pétitions ou des actions coup de poing. Cette mobilisation a duré six mois; c’est le plus vaste mouvement étudiant que n’est jamais connu l’histoire du Canada, voire celle de l’Amérique du Nord autant en matière de participation que de longévité. On parle d’environ 150’000 étudiant·e·s en grève, avec des pics à 300’000, soit les trois quarts des effectifs estudiantins de La Belle Province.

Ce qui était marquant en 2012, c’est que ce vaste mouvement a pratiqué la désobéissance civile de masse que cela soit contre la loi spéciale qui limitait le droit de manifester ou contre des injonctions judiciaires forçant des institutions scolaires à ouvrir. Malgré les potentielles lourdes amendes et les éventuelles peines de prison, la résistance civile a été très tenace.

Comment cet évènement s’inscrit-il dans la longue tradition des grèves étudiantes québécoises?

Cette grève n’aurait pas été possible sans une accumulation de savoir-faire et de savoirs théoriques transmis au travers de collectifs étudiants locaux et nationaux. Depuis les années 1960 et l’apparition d’associations estudiantines politisées, il y a régulièrement des grèves étudiantes au Québec. Cette gymnastique permet de savoir comment concrètement organiser une cessation collective des cours: de l’idée jusqu’au déclenchement en passant par l’organisation d’assemblées, le tractage, les débats, le piquetage et le blocage d’universités.

Pour avoir un regard un peu plus rapproché sur 2012, cette grève-là était intiment liée à celle de 2005 — qui était alors avec sa durée de huit semaines la plus longue de l’histoire. Les associations et les militant·e·s impliqué·e·s étaient en grande partie les mêmes, ce qui était extrêmement précieux et a permis d’éviter certains écueils du passé.

En plus des pratiques, ces différentes grèves partageaient-elles également un horizon politique commun?

Pour ce qui est des revendications et du discours à l’origine des principales grèves, il y a en effet une forte continuité. L’idée de favoriser et de démocratiser l’accès à l’éducation s’est surtout manifestée par des luttes axées sur la gratuité, à tout le moins le maintien de frais de scolarité bas. Les combats pour le salariat étudiant ou du moins l’élimination de l’endettement estudiantin ainsi que l’accès à des revenus décents sont allés de pair avec ses revendications.

C’est comme si les grèves étudiantes poursuivaient la Révolution tranquille qu’a connue le Québec dans les années 1960. Celle-ci était une grande phase de socialisation des services publics et de démocratisation de l’éducation. 

Quel bilan peut-on tirer, dix après son éclosion, de ce mouvement social?

Au niveau micro, certains aspects sont désolants. L’ASSÉ s’est autodissoute en 2019 à la suite d’une série de conflits ayant émergée après le Printemps érable. C’est malheureux, car cette association a été déterminante ces 20 dernières années et était l’une des rares organisations politiques de masse a tiré le débat public vers la gauche au Québec. À la suite de la grève de 2012, l’ASSÉ a beaucoup grandi, de nombreuses associations étudiantes l’ont rejointe, mais s’est vite révélée incapable de maintenir une unité politique interne.

Néanmoins, on remarque que la nouvelle génération militante impliquée dans la lutte pour la justice climatique s’inspire énormément du Printemps érable. Il y a comme un imaginaire positif de cette épopée qui demeure dans l’esprit des gens. Cela va évidemment de pair avec le fait que la grève a poussé en quelque sorte le gouvernement à la démission, réussit à freiner la hausse des frais de scolarité et à améliorer légèrement les prêts et bourses. Aujourd’hui la question de la hausse des taxes d’étude est une question que les politicien·ne·s n’osent plus ouvrir.

Toute une panoplie de mobilisations ont été, en outre, dans foulée de 2012 largement redynamisée que ça soit comme dit précédemment le mouvement pour la justice climatique avec Fridays for future, La Planète s’invite au Parlement, la lutte contre le pipeline (qui aurait dû traverser le Québec) Énergie Est, le mouvement féministe ou encore le mouvement de résurgence autochtone Idle No More.

Comment une grève aussi longue et intense transforme-t-elle ses protagonistes ?

Après le Printemps érable, de nombreuses personnes se sont impliquées à Québec solidaire (le principal parti de gauche au Québec). On pense bien sûr directement à la figure de Gabriel Nadeau-Dubois (une des figures médiatiques du Printemps érable qui est devenu co-porte-parole de Québec solidaire et qui représente désormais la formation à l’Assemblée nationale du Québec).

Beaucoup se sont aussi engagé·e·s dans des groupes communautaires défendant par exemple les chômeuses·eurs, les sans-logis, ou les assisté·e·s sociales·aux. La Confédération des syndicats nationaux (CSN) a également recruté dans le mouvement étudiant nombre de ses permanent·e·s.

Je connais une personne qui avait une trentaine d’années lors du Printemps érable. Elle était étudiante et n’était pas politisée à ce moment-là. Depuis, elle est devenue la figure de proue du mouvement d’opposition à l’oléoduc Énergie Est et travaille désormais à Nature Québec.

D’autres m’ont même dit s’être identifié·e·s au Québec par l’intermédiaire de cette lutte. Ce renouvellement de ce que veut dire appartenir à une nation au-delà des conceptions de droite ethniques et restrictives est intéressant. Elles et ils m’ont indiqué être devenu·e·s fière·ier d’être Québécois·e.

Est-ce que cette mobilisation n’était confinée qu’à des questions de frais de scolarité?

Non, évidemment, car elle s’intégrait plus largement dans une critique de la marchandisation et d’une conception néo-libérale de l’éducation, qui visent à la transformer en une prestataire de services. Cette conception elle vise à diriger vers les disciplines les plus rentables et défavoriser les sciences humaines les Arts et Lettres et soumettre par l’intermédiaire de la dette. Quand on sort de ses études avec un emprunt de dizaines de milliers de dollars canadiens, on réfléchit à deux fois lorsqu’on entame son parcours professionnel. Le mouvement défendait au contraire une vision universelle de l’éducation, comme un droit devant être garanti par les institutions publiques et financée équitablement par l’impôt progressif.

Autour de quoi tournent désormais les principaux débats prenant place dans les universités de la province?

Les questions antiracistes et féministes prennent désormais beaucoup de place et avec raison, car elles ont été passablement délaissées par le mouvement étudiant auparavant. Une grève féministe des stages (Pages de gauche a à ce propos chroniqué dans numéro 184 l’ouvrage collectif Grève des stages, grève des femmes) a notamment éclaté ces dernières années. Cette mobilisation, qui s’inscrivait dans la revendication de la rémunération du travail ménager, a réussi à faire en sorte que certains stages soient désormais rémunérés.

Depuis 2019, la thématique de la transformation écologique radicale de la société est aussi à l’avant-scène. Des étudiant·e·s ont notamment pris part à la lutte victorieuse contre le projet de gaz naturel liquéfié (GNL) au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Dans quel état se trouvent en ce moment les forces étudiantes?

En plus de l’ASSÉ, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) s’est dissoute en 2015. C’était une association importante, qui était surtout ancrée dans une perspective concertationiste. Elle ressemblait moins à une organisation militante qu’à un groupe de pression. Elle s’est dissoute, car elle était gangrenée par des problèmes démocratiques et s’était retrouvée à la remorque de l’ASSÉ tant en 2005 qu’en 2012.

Il existe désormais une série de groupuscules, qui sont parfois réseautés, mais qui ne disposent pas de de congrès nationaux ou de structures délégatives. C’est notamment le cas des CUTE (Comités unitaires sur le travail étudiant) qui ont été à l’origine de la grève féministe des stages. Étant donné leur organisation informelle, il est toujours difficile d’estimer leurs forces.

Est-il possible de faire un lien entre le printemps érable de 2012 et les grèves pour le climat de 2019?

Du point de vue du discours, la critique anticapitaliste est sous-jacente à celle de démarchandiser l’éducation. Dans cette même lignée, la lutte pour la justice climatique considère le capitalisme comme la cause profonde et structurelle des crises écologiques et climatiques. Le capitalisme est aussi nocif pour l’éducation que la planète. Il y a également une filiation dans les moyens d’action utilisés. Ces deux combats partagent la volonté d’organiser des mouvements collectifs de blocage des institutions et de recours à l’action directe.

Crédits images: Justin Ling sur Wikimedia Commons.

Pour aller plus loin: Printemps de force, Arnaud Theurillat-Cloutier, Montréal, Lux, 2017.

Propos recueillis par Joakim Martins


Compte rendu de Pour une écologie du 99%

Voilà un livre à mettre entre toutes les mains et qui permet, en une série de chapitres courts et très accessibles, d’identifier les fausses solutions à la crise environnementale et de désigner les véritables responsables de cette dernière.

Contre la responsabilisation des individus ou, pire, leur culpabilisation (la crise serait causée par l’individualisme hédoniste et consumériste), Pour une écologie du 99% rappelle que les entités qui polluent le plus sont, de très loin, un nombre limité de grandes entreprises, en particulier les multinationales engagées dans l’extraction des hydrocarbures.

Contre l’irénisme pensant qu’il suffira d’« écouter la science » pour résoudre le problème, le livre rappelle le caractère profondément politique de la crise environnementale, et la volonté acharnée d’actrices·eurs très puissant·e·s de ne pas la résoudre. Dans le combat écologique, on se confronte à des adversaires qui sont les mêmes que dans la plupart des autres luttes sociales et économiques: le patronat, les capitalistes et leurs différents groupes de pression.

Enfin, les auteurs écartent très efficacement le solutionnisme technologique qui revient en force à chaque nouveau dépassement d’une limite dans la dévastation de la planète. Non, la voiture électrique ou à hydrogène ne permettra pas d’éviter les catastrophes écologiques. Vouloir résoudre un problème en en aggravant les causes est une absurdité qui ne peut qu’être proférée par celles et ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que le problème soit résolu.

À lire et faire lire de toute urgence! Antoine Chollet

Pour une écologie du 99%. 20 mythes à déboulonner sur le capitalisme, Frédéric Legault, Arnaud Theurillat-Cloutier, Alain Savard, Montréal, Écosociété, 2022, 293 pages.

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