Italie: Quand le droit d’avorter devient un privilège

Emma Sofia Lunghi •

Dans le monde entier, le droit et l’accès à l’avortement continuent d’être entravés. Un élément explique les difficultés accrues que rencontrent de nombreuses femmes à accéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG): les médecins ont le droit de refuser de pratiquer une intervention médicale si celle-ci va à l’encontre de leurs croyances.


En Italie, la reconnaissance de ce droit a comme conséquence que, dans certaines régions, il est devenu presque impossible d’accéder à une IVG. En conséquence le droit d’avorter cesse d’en être un et se transforme en privilège réservé aux femmes qui vivent dans des villes progressistes, qui ont les moyens de voyager, ou qui ont la possibilité de chercher de l’aide. Le droit d’avorter est donc soumis au droit de retrait pour des raisons dites éthiques: le refus de «mettre fin à une vie», de commettre un acte de violence.

80% des gynécologues refusent de pratiquer des IVG

D’après les données recueillies par Laiga (une association italienne de gynécologues pour l’application de la loi de 1978 légalisant l’IVG), l’Italie compte une moyenne de 70% du personnel soignant qui est «objecteur de conscience», et ce pourcentage augmente à 80% lorsque l’on considère la seule profession des gynécologues.

Dans la culture conservatrice et catholique italienne, l’objection de conscience en 2021 est la norme, malgré le fait que le nombre de catholiques pratiquant·e·s flotte autour des 10%. Autant dire que dans de nombreuses structures hospitalières, le personnel gynécologique choisit l’objection de conscience bien plus par convenance politique et par facilité que pour des raisons éthiques. De plus, ne pas invoquer l’objection de conscience est perçu par de nombreuses·eux gynécologues comme un risque pour leur propre carrière. Prescrire des pilules et pratiquer des IVG est considéré comme moins intéressant qu’un accouchement ou le traitement de pathologies. Ainsi, sous l’influence des médecins plus âgé·e·s, les étudiant·e·s en médecine apprennent très tôt dans leur carrière qu’il est plus avantageux d’être objecteuse·eur.

Le boycott d’un droit

Le résultat, c’est qu’il n’existe plus que 291 structures hospitalières où il est possible d’accéder à une IVG, et ceci à condition de demander le traitement pendant les heures de travail des rares gynécologues non objecteuses·eurs. Dans certaines régions le pourcentage de médecins qui refusent de garantir le droit aux interruptions de grossesse dépasse le seuil du 80%, comme au Molise où 93,3% des médecins refusent de pratiquer une IVG. De nombreuses régions gouvernées par la droite boycottent ouvertement le droit à l’avortement en plaçant les gynécologues non objecteuses·eurs dans d’autres services qui ne pratiquent pas d’IVG, ou encore en prolongeant les démarches administratives nécessaires afin de dépasser le délai pendant lequel une IVG peut être pratiquée.

Cette situation s’est drastiquement dégradée pendant la crise liée à l’épidémie de Covid-19. De nombreuses structures qui garantissaient l’accès aux IVG ont alors fermé pour faire face à l’urgence, sans être rouvertes depuis. Enfin, certaines
structures ne garantissent plus l’accès à l’IVG, car le ou la seul·e gynécologue non objecteuse·eur est parti à la retraite.

D’après une estimation effectuée par l’Institut supérieur de la santé en 2012, il y aurait entre 15’000 et 20’000 avortements clandestins effectués chaque année en Italie. Les médecins italien·ne·s ont une claire responsabilité dans cette situation désastreuse. En refusant de faire correctement leur travail, ils et elles condamnent des milliers de femmes chaque année à recourir à des pratiques dangereuses, antihygiéniques et parfois mortelles. Au vu de tous ces éléments, l’Italie ne peut plus être considérée comme un pays où l’accès à l’avortement est un droit. Les manifestations de la droite «pro-vie» sont de plus en plus importantes, et la loi sur le droit à l’avortement est chaque jour fragilisée davantage.

Crédits image: Claudio Schwarz sur Unsplash.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 180 (été 2021).

Soutenez le journal, abonnez-vous à Pages de gauche !

webmaster@pagesdegauche.ch