La rédaction •
Dan Gallin est décédé samedi 31 mai, à 94 ans. Il aura non seulement joué un rôle essentiel dans la création, puis dans l’animation de Pages de gauche, mais aussi dans de nombreuses autres organisations du mouvement ouvrier et syndical international depuis les années 1950.
Né en 1931 à Lviv (qui était alors située en Pologne) où son père était Consul général de Roumanie, Dan Gallin a traversé en presque un siècle de vie bien des vicissitudes de la politique mondiale. Alors que son père est en poste à Berlin à partir de 1940, il est envoyé en 1943 par ses parents en Suisse, où il terminera sa scolarité au collège du Rosey, à Rolle. En 1949, grâce à une bourse, Dan Gallin part pour les États-Unis. C’est là qu’il se rapproche de mouvements militants, en particulier l’Independent Socialist League, courant dissident du trotskysme aux États-Unis (dont l’un des animateurs est Max Schachtman). Ses activités politiques le contraignent cependant à quitter le territoire américain en 1953, et il revient alors en Suisse. Après des études de sociologie à l’Université de Genève, c’est en 1960 qu’il commence sa carrière dans les organisations syndicales internationales, en l’occurrence à l’UITA, l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation. Dan Gallin en sera le secrétaire général de 1968 à 1997.
À ce poste, il transformera complètement cette institution pour en faire une véritable organisation de lutte. Il y mènera des combats importants, notamment une campagne internationale de boycott de Coca-Cola au début des années 1980, pour protester contre une série d’assassinats de syndicalistes actifs dans une usine au Guatemala.
Féroce adversaire du stalinisme, critique des différents courants se réclamant du trotskysme, Dan Gallin adhère au PSS en 1955. S’il n’intègrera jamais tout à fait ses instances, il y sera, dès sa retraite de l’UITA, un animateur important d’un courant de gauche. En 2000, il répondra ainsi à l’attaque portée par Christoph Blocher contre le socialisme, publiant un long texte dans Domaine public, qui sera également encarté dans Le Temps. Il y affirme l’importance du socialisme démocratique pour lutter à la fois contre les différents courants autoritaires – du stalinisme des années 1930 au blairisme des années 1990 – et contre la droite. Plus tard il sera actif au sein de Denknetz, le réseau de réflexion créé en 2004 pour servir de think tank à la gauche suisse.
Cet engagement va le conduire à accompagner de très près et avec une grande assiduité l’aventure de Pages de gauche. Il rejoindra son comité dès la création du journal et contribuera fréquemment au journal, sur des thématiques très variées. On ne compte plus le nombre de textes qu’il y a publiés, principalement sur des questions historiques et internationales, mais il n’hésitait jamais à commenter la politique nationale.
Parallèlement, dès son départ de l’UITA en 1997, Dan Gallin fondera le Global Labour Institute à Genève, qui va ensuite essaimer avec des bureaux à Manchester, New York, Paris et Moscou (le Centre Praxis, créé en 1998). Ce réseau syndical international va mettre sur pied de nombreuses rencontres.
Ces dernières années, des problèmes de santé avaient empêché Dan Gallin de participer autant qu’il l’aurait souhaité aux activités de Pages de gauche. Il avait encore envoyé un message à l’occasion de ses 90 ans en 2021 qui, sans surprise, appelait à la solidarité avec les luttes syndicales qui se déroulaient alors à Hong Kong, en Birmanie et au Belarus, et demandait de soutenir la bibliothèque Victor Serge à Moscou. L’internationalisme n’était ni un vain mot ni un slogan pour Dan Gallin : c’était le point de départ de tout engagement, syndical comme politique.
L’héritage de Dan Gallin
Si l’on voulait résumer l’héritage que Dan Gallin laisse au mouvement ouvrier et syndical, nous mentionnerions deux éléments principaux.
Le premier est la certitude qu’un mouvement de défense des travailleurs·euses, des opprimé·e·s, des exploité·e·s, pour avoir la moindre chance de succès à long terme, doit être démocratique, c’est-à-dire rassembler un nombre aussi important de personnes que possible. Il exécrait le sectarisme qui prend prétexte de la pureté idéologique pour se réfugier dans des micro-organisations sans lien avec ce qui se passe dans la société, tout comme il dénonçait sans relâche les tendances autoritaires toujours présentes dans les grandes organisations politiques ou syndicales. C’est avec cette double exigence qu’il a toujours œuvré au sein des associations et collectifs dont il faisait partie.
Le second tient à l’importance d’une réflexion et d’une action à long terme. Il nous l’avait d’ailleurs confié dans l’entretien que nous avions réalisé avec lui en 2017, lorsqu’il disait que ce qui doit caractériser un·e militant·e de gauche, c’est « la ténacité à long terme ». Il avait d’ailleurs conclu l’entretien sur ces mots qui résonnent fortement aujourd’hui, alors que nous apprenons sa disparition :
« Quand je suis entré dans le mouvement, jeune socialiste, je regardais derrière, par-dessus mon épaule, où il y avait des géants. Des petits géants comme Shachtman, des grands géants comme Trotsky. Puis arrive un certain temps où tu regardes par-dessus ton épaule et il n’y a plus personne, tu es seul. Et donc, sachant ce que tu sais, tu dois écrire, tu dois parler, et transmettre tant que tu as la possibilité de le faire. »
Nous espérons ne pas avoir été complètement infidèles à ces conseils, et pouvoir les faire fructifier pendant encore longtemps !
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