Forta : une arme de pollution massive

Antoine Chollet •

Construire plus d’autoroutes pour résoudre les problèmes de congestion automobile est comparable à construire davantage de prisons en pensant ainsi réduire la criminalité. Cette approche a entraîné une augmentation du trafic autoroutier en Suisse, avec 29 milliards de véhicules-kilomètres parcourus en 2022, soit 6% de plus qu’en 2021.

Le résultat, ce sont des embouteillages, des accidents, une pollution massive (air, bruit, gaz à effet de serre, pollution des eaux) et une destruction des paysages et des villes. Dans l’agglomération lausannoise, il est ainsi prévu de créer deux nouvelles sorties autoroutières (à Écublens et Chavannes) et d’élargir massivement l’autoroute à la hauteur de Crissier, ce qui aura un impact durable sur la qualité de vie de dizaines de milliers de personnes.

Cette fuite en avant n’est pas que le résultat de la « demande » de la population pour plus de voitures, elle est aussi organisée — notamment par la création d’un mécanisme financier pervers.

Le hold-up du siècle

Les milieux pro-bagnoles ont réussi le hold-up du siècle en 2017 avec l’acceptation en votation populaire du fonds FORTA qui sert à subventionner massivement la construction d’autoroutes en Suisse. Depuis cette votation, une partie de l’impôt sur l’essence, une surtaxe sur l’essence, l’impôt sur les automobiles et la vignette autoroutière sont soustraits au budget fédéral pour être consacrés directement aux routes, via un fonds spécial. Une pure aberration pour les finances publiques. Aucun autre domaine ne dispose d’un tel privilège à Berne (pas même l’armée, même si nous avons vu que les autoroutes dans la Broye peuvent servir de pistes d’atterrissage pour les F/A-18…).

Et l’argent coule à flots dans le FORTA : en 2023 c’est 2,8 milliards qui y sont arrivés, et ceci en plus des 1,2 milliards annuels de « financements spéciaux » pour les routes. Résultat : ce ne sont pas moins de 34 milliards de francs d’investissement dans les autoroutes que le Conseil fédéral prévoit de dépenser d’ici à 2030.

Et afin d’utiliser tout cet argent, l’Office fédéral des routes doit créer des besoins, des nouvelles routes à construire (« développement du réseau »), des quatre pistes à transformer en six pistes (« accroissement de capacité »), et des sorties d’autoroutes à créer dans les agglomérations pour faciliter la venue des automobilistes au centre-ville (« élimination des goulets d’étranglement »). 

Que faire ?

Le référendum porté par l’ATE contre les extensions autoroutières prévues dans le programme de développement stratégique constituera la prochaine étape politique majeure. En Suisse romande, il s’agit de l’autoroute Le Vengeron (GE)-Coppet (VD)-Nyon (VD) qui doit être élargie à deux fois trois voies sur une distance d’environ 19 km. Cet élargissement entre en conflit avec l’extension de la voie de chemin de fer Genève-Lausanne. 

Et il est essentiel à gauche, au PS en particulier, de s’opposer à ces dépenses dans les autoroutes qui feront dérailler à coup sûr toute politique climatique — et vont empêcher les dépenses, qui sont nécessaires, elles, dans le développement des transports publics. À l’heure où la Suisse romande en particulier subit les contrecoups du sous-investissement dans le domaine ferroviaire (retard de la gare de Lausanne, « oubli » d’Yverdon, horaires dégradés pour les dix années à venir, etc.), le peuple peut marquer par son vote les véritables priorités collectives du pays.

En parallèle, des parlementaires fédérales·aux courageuses·eux pourraient proposer de réviser le mode de financement des autoroutes et de faire sauter le mécanisme pervers du FORTA. Assurément, il y a deux ou trois domaines (la santé, l’éducation, les retraites, les transports publics) dans lesquels l’argent qui revient sans débat aux autoroutes serait utile… et qui sait, on trouvera peut-être même du plaisir à voyager en train ou à rouler à vélo.

Cet article est paru dans le no 192 de Pages de gauche (été 2024).

Crédits image: Pia Neuhaus ATE

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