Élections en Allemagne: Nouvelles majorités, vieux problèmes

Olga Baranova (membre du PS genevois et du SPD) •

Après une campagne électorale marquée par le COVID et la crise climatique, les bourdes à répétition des candidat·e·s à la Chancellerie et un rôle historique des réseaux sociaux pour la formation d’opinion, les Allemand·e·s ont fait leur choix pour l’ère post-Merkel. Pourtant, officiellement, rien n’est encore joué : les négociations de coalition sont en cours et reflètent bien les lignes de démarcation nouvelles ainsi que l’entrée dans l’ère selfie de la politique allemande.


Un résultat à la fois attendu et surprenant

Qu’est-ce que c’est passé le 26 septembre ? Tout d’abord, le SPD (le Parti social-démocrate allemand) a fait un score que personne n’aurait pu imaginer il y a quelques mois encore. Ayant remporté seulement 20,5% des «secondes voix» (pour comprendre le complexe système électoral allemand, lire l’encadré ci-dessous) en 2017, le déclin définitif de l’ancien Volkspartei — qui était habitué à des scores autour des 40% durant les Trente Glorieuses — semblait être tout tracé, d’autant plus depuis la disparition de facto du parti frère français. Fier héritier de Willy Brand ou encore de Helmut Schmidt, décidément moins de celui de Gerhard Schröder, le parti s’était manœuvré dans l’impasse et l’insignifiance autant au niveau du programme que des personnalités. D’où la grande surprise, qui se dessinait déjà au préalable dans les sondages: avec 25,7% des voix, le SPD sort vainqueur des élections. Cela, alors que son candidat à la Chancellerie, Olaf Scholz, actuellement Vice-Chancelier et ministre des Finances, était parti tout sauf favori dans la campagne. Écarté précédemment de la direction du parti au profit d’un duo peu connu, une rareté pour la politique allemande, on rappelait à raison son rôle dans les scandales financiers Cum-Ex ou encore la gestion controversée des débordements violents lors du sommet G20 à Hambourg (dont il était, à l’époque, le maire). Malgré le peu de charisme de son candidat centriste et sa difficile posture en tant que partenaire minoritaire au sein de la précédente coalition gouvernementale avec la CDU (le Parti démocrate-chrétien), le SPD a réussi un pari extraordinaire. Robert Misik, un des analystes politiques germanophones de gauche les plus poignants, le synthétise comme suit: «Olaf Scholz a évolué modérément, mais nettement vers la gauche. Les ailes plutôt de gauche et plutôt de droite du parti ont réussi à se rassembler. Avec son positionnement en faveur du salaire minimum, du respect et du rôle d’investisseur de l’État, le SPD a peint une image congruente, faisant même oublier aux gens le traumatisme de Hartz IV (système d’aide sociale mis en place par Gerhard Schröder). Le candidat a incarné le message suivant: Scholz peut le faire, il fera bien le job.» (TAZ, 02.10.2021)

Misik rappelle également que la victoire du SPD n’est pas seulement le corollaire de la défaite cuisante du grand parti rival de droite, le parti de Merkel. La CDU semble avoir sombré dans des problèmes similaires à ceux du SPD en 2017 : un candidat à la Chancellerie qui part favori, mais qui révèle rapidement une certaine propension à la maladresse (dont un fou rire durant un discours émotionnel du président allemand), une «éminence grise» torpillant la campagne avec une nonchalance assassine (ce rôle fut celui du président-ministre bavarois et ancien rival de Laschet, Markus Söder) et l’effet entraînant d’une dégringolade dans les sondages. Ce mélange explosif a entraîné une perte de 8,8 points pour le parti de la puissante Chancelière. Bien évidemment, les raisons de cet échec ne se trouvent pas uniquement dans le choix malheureux du candidat ni dans la campagne électorale ratée. Le parti a accumulé un nombre d’affaires impressionnant durant la dernière législature — à un point où même le rayonnement de Merkel n’a suffi pour les dissimuler. Non seulement aucun ministre démocrate-chrétien du cabinet gouvernemental n’a su convaincre (l’on pense notamment au ministre des Transports Andi Scheuer, dont le bilan politique est tellement désastreux que plus personne n’arrive à expliquer son maintien au sein du cabinet), le parti s’est retrouvé empêtré dans des affaires de corruption autour, notamment, des achats de lots de masques chirurgicaux qui faisaient cruellement défaut au début de la pandémie.

Mais la CDU n’est pas le seul parti à se réveiller avec une gueule de bois le lendemain du scrutin. Les Verts, bien qu’ils aient progressé plus que n’importe quel autre parti, ont pourtant raté leur objectif principal: finir au moins en tant que deuxième force politique du pays. Cet objectif n’était pas si illusoire: comme le rappelle la Süddeutsche Zeitung, les sondages donnaient les Verts gagnants à 25% en 2019 et au printemps 2021. Deux problèmes ont pour finir rendus ce résultat impossible: l’incapacité de se renforcer ailleurs que dans les grandes villes ainsi que leur faiblesse structurelle en Allemagne de l’Est. Leur candidate à la Chancellerie, Annalena Baerbock, d’ailleurs seule femme parmi les «papables», était porteuse d’espoir pour la gauche urbaine jusqu’au bout. Perfectionniste, compétente, elle a réussi à s’imposer dans les «Triell», les débats télévisés entre les trois principales·aux candidat·e·s à la Chancellerie. Comme toujours en politique, il n’était guère suffisant d’être excellent: les erreurs grossières du début de campagne (dont un CV imprécis, des revenus annexes déclarés tardivement et une affaire de plagiat) ainsi qu’un sexisme structurel ont torpillé sa candidature, déroulant le tapis rouge à Olaf Scholz, moins charismatique, mais plus rassurant.

Avec 4,9% des voix, donc en dessous du quorum fixé à 5 points, die Linke ne reste au sein du parlement que grâce à ses trois mandats directs. La liste des raisons de la débâcle du parti situé à la gauche du SPD et des Verts est longue: un combat clivant, ridicule et vain de la célèbre ancienne présidente du parti Sahra Wagenknecht contre les politiques d’identité ou un candidat à la Chancellerie qui n’était pas capable de choisir entre Poutine et Biden, pour n’en citer que deux. À travers ces deux erreurs fondamentales et l’incohérence de son positionnement sur la crise climatique, le parti s’est manœuvré dans l’insignifiance.

Les négociations de coalition: un pas de trois sans faute

Alors que j’écris ces lignes, les négociations en vue d’une coalition gouvernementale avancent de manière harmonieuse et prévisible (à l’heure où ces lignes sont publiées, SPD, Verts et Libéraux auraient trouvé un accord préliminaire de coalition). Les messages push des médias allemands se suivent d’une manière théâtrale: «Les Verts souhaitent des pourparlers avec le FDP (le Parti libéral-démocrate) et le SPD». Trente minutes plus tard : «Le FDP accepte l’offre de pourparlers avec les Verts et le SPD». Le tout est accompagné de selfies des partenaires de négociation, apaisé·e·s malgré la campagne électorale éprouvante qu’elles et ils viennent de vivre. On se croirait dans la scène de Marie Antoinette de Sophia Coppola ou la jeune princesse autrichienne est amenée dans une forêt d’un territoire neutre pour être «remise» au royaume de France à travers une longue suite de gestes codifiés et symboliques. Les images sont belles, le processus respecté et il n’y a pas d’alternative au résultat. Quel contraste avec la longue et difficile quête de majorité gouvernementale en 2017, lorsque le SPD fut contraint d’accepter une nouvelle «grande coalition» avec la CDU malgré le fait de l’avoir exclu le lendemain de sa défaite électorale. D’ailleurs, il est curieux que ce soit bien le parti libéral-démocrate qui risque de donner une majorité à une coalition de «centre gauche»: en 2017, il avait quitté la table de négociations de la CDU et des Verts. Son président, Christian Lindner, a forgé à cette occasion une nouvelle expression courante: «il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner». Difficile de dire plus joliment que l’on refuse d’assumer ses responsabilités.

Et après ?

Une fois le spectacle politique terminé, une fois le dernier reportage sur les «années Merkel» diffusé, une fois qu’Olaf Scholz aura prêté serment, l’Allemagne fera toujours face aux mêmes problèmes que la législature précédente. Les glissements de terrain qui ont provoqué cet été des dizaines de morts restent un rappel bien vivant de l’urgence de la crise climatique et de la nécessité d’anticiper ses conséquences sociales massives ; la pauvreté Harz IV et celles des «working poor» se reflètent de plus en plus dans la misère croissante de régions entières alors que les incertitudes quant à l’avenir de l’Union européenne ou encore le rôle que l’Allemagne joue sur l’échiquier politique mondial demeurent. L’antisémitisme et la xénophobie gagnent un peu partout du terrain. Indéniablement, la nouvelle majorité de centre gauche sera mieux à même à relever ces défis gigantesques. Inévitablement, elle ne pourra réussir qu’une partie du pari. Mais c’est bien sa capacité à prendre des risques, à sortir des chemins politiques battus et à gérer le difficile équilibre entre attentes (forcément infinies) et objectifs réalistes (forcement en nombre limité) qui décidera dans quel sens et à quelle vitesse avancera le pays, voire toute l’Europe, dans les décennies à venir.


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Système électoral allemand

Les 598 membres du Bundestag sont élu·e·s selon un système mixte : la moitié est élue par scrutin majoritaire (« première voix ») dans le cadre d’une circonscription électorale (Direktmandat – « mandat direct ») et l’autre moitié de manière proportionnelle (« seconde voix ») dans le cadre du Bundesland. Une fois le scrutin dépouillé, l’ensemble des sièges sont repartis entre les partis politiques en fonction de leur résultat proportionnel (pour atteindre le quorum, un parti doit faire au moins 5% ou remporter 3 mandats directs). Les sièges ainsi alloués sont en priorité attribués aux « mandats directs », puis aux élu·e·s des listes proportionnelles. Le ou la chancelier·ère est élu·e par le Bundestag à majorité absolue. La candidature ne doit pas nécessairement provenir du parti ayant totalisé le plus de voix lors de l’élection, mais de facto, il ou elle est choisi·e par le parti ou la coalition majoritaire.

Crédits image: Maheshkumar Painam sur Unsplash.

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