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Economie énergétique allemande: vivent les cartels privés!

Des enquêtes de la commission européenne ont permis de mettre en lumière des pratiques qui en disent long sur l’absence de libre concurrence dans le domaine énergétique. Rappel des faits.

Cela s’apparente à un polar. Le 29 mai 2006, Wulf Bernotat, directeur général d’E.On, un des principaux acteurs de l’économie énergétique européenne, entre dans son bureau. Quelques minutes plus tard, il se trouve face à un troupeau d’enquêteurs de la Direction de la concurrence de la Commission européenne. Des ordinateurs sont saisis, des procès-verbaux des séances des instances dirigeantes de l’entreprise et des papiers stratégiques internes classés secrets photocopiés sur place. En collaboration étroite avec l’autorité allemande de surveillance des cartels, la commission procède de la même manière auprès des trois principaux autres poids lourds de l’économie énergétique allemande: RWE, Vattenfall et EnBW.

Relations amicales

Bien que les enquêtes soient toujours en cours, les résultats intermédiaires qui ont filtré à la presse sont spectaculaires. Ainsi, les dirigeants des quatre principales entreprises allemandes du secteur énergétique auraient tenu des réunions secrètes depuis plusieurs années. Lors de ces rencontres, des informations sensibles auraient été échangées. Les patrons se seraient notamment entendus sur la façon de procéder en matière de concentration capitalistique du secteur et de répartition des marchés. Résultat: selon l’office allemand des cartels, les documents saisis démontreraient que – malgré les prétentions des chantres du libéralisme – la libre concurrence n’existe guère dans le secteur électrique en raison d’une «coopération inadmissible du point de vue du droit des cartels».

Derrière la façade d’une concurrence féroce, se cachent donc des relations que l’on peut aisément qualifier d’amicales. Ainsi, pour citer l’exemple du gaz naturel, E.On et RWE se sont mis d’accord pour barrer la route à des petites et moyennes entreprises actives dans leurs sphères d’influence respectives. Et les principaux dirigeants se sont amusés à s’échanger des informations sur les achats envisagés et les investissements prévus.

Flambée des prix et profits

Pour les consommatrices et consommateurs privé-e-s, ces ententes cartellaires ont eu pour conséquence directe une flambée des prix entre 2000 et 2007. En effet, deux ans après la libéralisation du marché décidée par le gouvernement Schröder, le prix de la consommation moyenne d’un ménage allemand atteint 40,60 Euros par mois contre 49,95 en 1998. Or, en 2007, ce même chiffre s’élève à 60,20 Euros. Cette évolution s’explique principalement par les pressions exercées par des géants comme E.On qui, à travers leurs filiales, ont fait monter les prix sur les marchés de pointe. Le tout en bonne coordination avec leurs concurrents. En tenant compte de l’effet de l’inflation, en 2007 le prix de l’électricité en Allemagne est exactement le même qu’en 1998. Sauf qu’un pan entier du service public allemand a été privatisé depuis.

Dans l’économie capitaliste, qui dit hausse des prix dit en principe aussi croissance des profits. Un adage qui n’est pas étranger au présent exemple. Entre 2002 et 2006, les profits d’E.On ont augmenté de 95%, ceux de RWE de 36%, ceux d’EnBW de 275% et ceux de Vattenfall de 250%.

Refuser le libéralisme

Ceux qui en Suisse et en Europe ont décrit la forte probabilité de ce genre de dynamiques en cas de libéralisation des services publics ont été considérés pendant longtemps au mieux comme des semi-fous. Pannes électriques en Californie? La faute à la mauvaise manière de libéraliser, disait-on. Concentration du capital en Europe? Pas d’impact pour la concurrence ou les consommateurs, prétendaient les chantres du libéralisme de droite et de gauche – y compris au sein des instances dirigeantes du Parti socialiste suisse de l’époque. Aujourd’hui, ces voix se sont quelque peu estompées.

Or, ce qu’il faut n’est pas le silence, mais la mise en évidence constante des méfaits de la logique libérale dans un secteur aussi essentiel que celui de l’énergie. D’une part, pour des raisons de défense du pouvoir d’achat de la majorité populaire. Celle qui a vu en Suisse son revenu disponible stagner ou fortement diminuer ces dernières années. D’autre part, pour des raisons de garantie de l’approvisionnement dans un secteur économique pour lequel la pénurie est source de profits faramineux. Enfin, il convient également de mentionner des facteurs, appelons-les géostratégiques. La prise d’influence en Europe du régime autoritaire de Vladimir Poutine à travers la mainmise sur une bonne partie des réserves énergétiques du monde va en effet croissant. En remplaçant les anciens monopoles publics par des ententes cartellaires ou autres quasi monopoles privés, le risque d’une reprise des géants européens du courant par des géants russes comme Gazprom n’est pas à exclure.

En Suisse, le refus du libéralisme a permis de réduire ce danger. Depuis le vote sur le Loi sur le marché de l’électricité en septembre 2002, le contrôle public sur le secteur s’est nettement renforcé. Aux pouvoirs publics et aux institutions démocratiques d’en faire bon usage.

Pour en savoir plus: Der Spiegel, numéro 45/2007, article intitulé «Das Kartell der Abkassierer».

 

 

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