Stéphanie Pache •
Les États-Unis ont élu un fasciste, avec toute sa troupe de sycophantes, mais cette fois en toute connaissance de cause. Après l’élection, nous avons assisté à une phase d’accusations spéculatives par le camp démocrate et les médias un peu sérieux sur les « erreurs » de la campagne démocrate, montrant encore une fois qu’ils ne comprennent pas que l’électoralisme ultra-personnalisé des campagnes présidentielles américaines est bien loin de la démocratie réelle. L’illusion persiste que les élections seraient un processus démocratique et non le système aristocratique de délégation du pouvoir du peuple qu’il est en réalité. Les analyses de la campagne n’apportent cependant pas grand chose au combat antifasciste qui attend les forces démocratiques américaines.
Paternalisme
Le vote pour Trump est délirant, mais il est le choix de personnes potentiellement rationnelles, informées cependant par des mensonges et des croyances absurdes qu’elles choisissent de croire. C’est cette réalité qu’il s’agit d’attaquer. Il est nécessaire d’arrêter de répéter que nous vivons dans des réalités différentes. Il n’y a qu’une réalité et même si on peut discuter de ce que l’on en sait et comment mieux la comprendre, il faut cesser de faire comme si des affirmations absurdes étaient légitimes. Le déni de l’absurdité des propos de Trump et de ses soldats médiatiques est souvent teinté à gauche d’un paternalisme de classe, c’est-à-dire une réticence à traiter comme des êtres doués de raison les pauvres et les personnes sans éducation, groupes sociaux considérés à tort comme principaux responsables de la popularité de Trump. Cette attitude est liée à une tendance à réduire l’adhésion au fascisme à une manipulation mentale de despotes « populistes ». Ce phénomène est au cœur du sentiment anti-élite de certain·e·s des électrices·eurs de Trump. Or il faut attaquer ces croyances frontalement et confronter les électrices et électeurs de Trump aux conséquences de leur vote et à leurs délires.
Pensée magique
L’un de ces délires est partagé par de trop nombreux démocrates : Trump n’est ni résolu, ni capable de faire ce qu’il a dit qu’il allait faire. Même si cela était vrai, il faut toujours prendre au sérieux les menaces fascistes ; les minimiser renforce leurs chances de réussite. Mais il y a au contraire toutes les raisons de croire qu’il va faire ce qu’il a dit, notamment lorsqu’on prend en compte les nominations de son cabinet. Traiter la Maison-Blanche et le Congrès comme une bulle qui n’aura aucun impact sur la vie de la population démontre le même délire sur la prétendue disjonction entre les institutions politiques et le peuple que celui qui nourrit le fascisme trumpiste. L’idée d’attendre et voir ce qui va se passer est dangereuse. L’élection a cautionné des positions extrêmement violentes, racistes et sexistes et Trump a déjà appelé ses supporters à prendre en main eux-mêmes leurs problèmes par des actes individuels de violences. Il ne faut pas attendre que les femmes meurent d’avortements illégaux, que les universités soient fermées ou les personnes trans persécutées ou pire (encore davantage et impunément) pour agir.
Un vote antidémocratique
Il est réaliste cependant de penser que les trumpistes sont des électrices·eurs comme les autres, en ce sens qu’il vote moins pour un programme ou même des idées, que pour la personne qui l’incarne et ce qu’elle leur fait sentir, comme de nombreux spécialistes du fascisme l’ont relevé. Le problème est qu’elles et ils ont voté contre la démocratie. Ces personnes n’y croient pas, ne la soutiennent pas, ce qui est particulièrement visible dans leur incapacité à communiquer, à débattre et à formuler des idées clairement et raisonnablement. Ce n’est pas une réalité propre aux États-Unis, mais cela est particulièrement perturbant pour un État qui se vit historiquement comme l’incarnation de la démocratie. Cette identification historique contribue probablement à entretenir l’illusion que cette démocratie est suffisamment forte pour vaincre le fascisme. Nous l’espérons.
Mais quand on voit que la première action de Trump est de placer tous ses ami·e·s et partenaires d’affaires à des postes gouvernementaux, malgré leur incompétence quasi systématiquement totale pour ces postes, et de fonder un cabinet de milliardaires, on mesure l’étendue de son arrogance, mais aussi de son pouvoir, car même pour les postes qui doivent être ratifiés par le Congrès, il semble que seul être un auteur avéré de viol de mineures puisse pousser les Républicain·e·s à ne pas confirmer les trumpistes proposé·e·s. Et les retournements constants de positions de Trump depuis l’élection n’émiettent en rien sa popularité auprès de son électorat. Plus inquiétant encore, la passivité générale du peuple démocrate et de gauche, qui n’a pas organisé de contre-manifestations après l’élection et se mobilise globalement bien moins qu’après la première élection de Trump. Bref, il nous semble plus qu’opportun de nous inquiéter.
Cet article paraîtra dans le no 194 de Pages de gauche (hiver 2024-2025).
Crédits image: vote.gov