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Débat sur le projet de constitution genevoise

GENÈVE

Pages de gauche vous propose ci-dessous deux textes afin de mettre en perspective les différents enjeux liés au projet de nouvelle constitution genevoise.

Projet de nouvelle constitution: que la fête commence!

Le 14 octobre, on fêtera le refus d’un texte de constitution. On ne sait pas encore lequel, du texte en vigueur ou du texte proposé, mais on sait déjà que l’un des deux passera à la trappe. Forcément. Et comme aucun des deux ne nous sied, on votera blanc.

Le jour des navets

Le 14 octobre, dans le calendrier républicain, c’est le jour des navets. Et ça tombe bien, ce jour-là on nous en servira deux, de navets, à Genève, un vieux et un neuf, un tout fripé et un tout frais: la constitution genevoise actuelle et le projet de nouvelle constitution issu de trois ans de phosphorescence d’une assemblée élue précisément pour pondre un tel projet. Et nous sommes invités à choisir lequel des deux nous préférons, car ce vote du 14 octobre est un jeu à  somme nulle: c’est une constitution ou l’autre, l’actuelle, ou le projet de nouvelle.

On ne votera sur rien d’autre que sur le texte de la Constituante: ni sur la composition de cette assemblée, ni sur le processus constituant, ni sur les arrière-pensées des uns ou des autres. Dire «oui» au texte de la Constituante, ce sera dire «non» à  la constitution actuelle, dire «non» au projet de la Constituante, ce sera dire «oui» au texte en vigueur… Or nous sommes tout de même assez nombreux à ne nous satisfaire ni de la constitution actuelle, ni de celle par quoi la majorité de la Constituante voudrait la remplacer, et à ne nous identifier au projet politique d’aucune de ces deux chartes.

Nous voudrions donc pouvoir dire «non» aux deux textes… or nous ne le pouvons pas puisque si c’est «oui» à  l’un, c’est forcément «non» à l’autre… Conclusion: seul un vote «blanc», comme le recommande la Jeunesse Socialiste, peut tenir lieu de ce double «non» impossible…

Si l’on veut que la prise de position que l’on produit sur un texte qu’on nous soumet ait un sens, il n’est pas inutile de le lire, ce texte. Et si ce texte doit en remplacer un autre, il n’est pas inutile non plus de comparer ces deux textes. Et puisqu’au moment d’accepter la proposition de faire rédiger un projet de constitution, on a pris l’engagement de se battre pour y faire entrer un contenu précis, il n’est enfin pas superfétatoire de comparer le résultat final aux engagements pris initialement. Tout cela, au fond devrait relever, de l’évidence socratique: savoir de quoi on parle avant d’en parler.

ni soutien, ni opposition

Ces comparaisons, on les a faites, et on n’y a rien trouvé qui puisse justifier ni le soutien, ni l’opposition au projet de la Constituante. Et dans le texte du projet qui nous est soumis, on n’a retrouvé aucune des plus importantes propositions de la gauche. Et on en a déduit qu’il ne valait pas la peine qu’on le soutienne – mais comme on n’y a pas trouvé non plus les abominations que ses opposant·e·s de gauche affirment y avoir trouvé, on en a aussi déduit, n’étant pas chasseur de fantômes, qu’on n’allait pas perdre notre temps à combattre un ectoplasme constitutionnel en choisissant entre des divergences formelles recouvrant des équivalences fondamentales.

Une constitution n’est pas un texte à usage corporatiste des juristes: c’est un texte que chaque citoyen·ne doit pouvoir s’approprier, faire sien, utiliser contre le pouvoir politique, le pouvoir économique, le pouvoir social, le pouvoir culturel. Or ni la constitution genevoise en vigueur, ni le projet de la Constituante ne peuvent remplir cette fonction, essentielle à  la légitimité du texte constitutionnel. Quel que soit le résultat du vote du 14 octobre, on se retrouvera donc, forcément, avec une constitution qui ne nous dit rien qui vaille et nous aille.

Le 14 octobre, je voterai, parce que je suis un citoyen tenant à  ses droits et conscient qu’ils ne valent que si j’en use, mais je voterai blanc, pour dire aussi clairement que possible que la constitution dont je veux n’est ni l’actuelle, ni celle que propose la Constituante, mais une constitution qui reste à  écrire.

Questions de légitimité

Pour cela, il m’importe que quel que soit le texte qui sortira vainqueur de la confrontation entre la constitution actuelle et le projet de la Constituante, il ne soit adopté que par la plus petite et la plus minoritaire des minorités possibles. Il est vrai que ce pari-là, au moins, est déjà gagné: la moitié de la population genevoise n’a pas le droit de vote, et la majorité de celle qui a ce droit n’en usera pas pour choisir sa constitution… Quelle légitimité accordera-t-on alors à une «charte fondamentale» qui n’aura été acceptée que par un dixième de la population de la République? Celle qu’elle mérite. Celle que mérite la constitution actuelle, ou que mérite le projet de la Constituante.

Pascal Holenweg


 

Oui à une nouvelle constitution progressiste

Après un peu moins de quatre ans de travaux, la Constituante genevoise a adopté le projet de constitution le 31 mai dernier. Il sera soumis au peuple le 14 octobre prochain. Jérôme Savary et Cyril Mizrahi* tirent un bilan positif du projet, qu’ils estiment meilleur que la Constitution actuelle.

La Constituante n’aura pas été un exercice facile, et de nombreux obstacles se sont dressés face à celles et ceux qui souhaitaient un processus ouvert et rassembleur de refonte de la charte fondamentale de notre canton. Ainsi, en mai 2010, la majorité de droite avait voté la suppression de 14 thèses relatives aux droits fondamentaux proposées par la commission concernée, parmi lesquelles le droit au logement et l’égalité entre femmes et hommes, deux acquis essentiels de la Constitution actuelle.

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Nos groupes ont lutté sans relâche pour convaincre une majorité. Ils se sont montrés inlassablement force de proposition tout en restant ouverts en permanence aux discussions avec l’ensemble des forces représentées. Car un projet qui ne serait qu’une succession de rapports de force n’aurait aucune chance d’être soutenu globalement et largement.

Plutôt que de nous en tenir à un rôle d’opposition qui nous aurait assuré une victoire devant le peuple contre le projet qu’aurait concocté la courte majorité de droite de l’assemblée (43 contre 37), mais sans aucune avancée pour celles et ceux que nous défendons, nous avons donc préféré tenter de bâtir ensemble un projet à la fois rassembleur et progressiste, un texte qui fasse avancer les droits fondamentaux, l’égalité, la solidarité et la protection de l’environnement. Nous n’avions rien à perdre à essayer ; nous aurions pu, en cas d’échec, défendre avec succès le refus du projet.

Un projet meilleur que la Constitution actuelle

Mais en dépit des difficultés et de quelques déceptions, nous avons réussi. Sans faire preuve d’un enthousiasme béat, il s’agit de reconnaître que le texte issu de la 3e et dernière lecture est globalement meilleur que la Constitution actuelle.

Tout d’abord, ce texte maintient, respectivement rétablit, les acquis de la Constitution actuelle : l’égalité entre femmes et hommes, le droit au logement et la politique sociale du logement, le droit de vote des étrangers au niveau communal, l’égalité des fonctionnaires en matière d’éligibilité au Grand Conseil, la péréquation intercommunale adoptée à l’unanimité des communes, l’interdiction du nucléaire (y compris les pouvoirs du Grand Conseil en la matière), la politique énergétique basée sur les économies d’énergie et les énergies renouvelables (article 160E de la Constitution actuelle), les services publics (SIG, TPG, HUG, BCG, Hospice) et le monopole public en matière d’eau et d’électricité, l’interdiction des chiens dangereux, de la chasse, et de la fumée dans les lieux publics. Enfin, le durcissement du frein à l’endettement voulu par la droite a été purement et simplement abandonné.

Il est clair que certaines avancées auxquelles nous tenions ne verront pas le jour, au premier rang desquelles l’extension des droits politiques des personnes étrangères. Nous partageons l’immense déception que la décision de la majorité de droite a suscité. Continuer d’exclure de la citoyenneté des personnes qui résident en Suisse depuis des années demeure une injustice à laquelle nous ne saurions nous résoudre. Jusqu’au bout, nous nous sommes battus pour réaliser cette avancée et avons tenté de convaincre la majorité de droite de l’Assemblée. En vain. Cette lutte pour l’extension des droits politiques peut et doit donc plus que jamais se poursuivre grâce à l’outil de l’initiative populaire.

L’absence d’une vision ambitieuse, comme l’aurait été la société à 2000 watts, pour conduire notre canton sur la nécessaire transition énergétique est également un motif d’insatisfaction pour nos groupes. Mais il faut être clair : sur ces deux points pas plus que sur d’autres, le projet ne consacre le moindre recul par rapport à la Constitution actuelle. Au contraire, l’article sur l’opposition au nucléaire a été renforcé puisque désormais les autorités devront s’opposer à toutes les installations nucléaires existantes au voisinage du canton et non pas seulement à l’installation hypothétique de nouvelles centrales. De plus, l’inscription de deux principes novateurs que sont le respect de l’écologie industrielle et la promotion des quartiers durables ouvrent des perspectives nouvelles en matière de gestion énergétique.

Des innovations intéressantes

A l’instar de ces nouveautés, le projet ne sera pas qu’une simple mise à jour consistant à rendre le texte plus lisible et accessible pour toutes et tous. Cela ne suffirait pas à justifier l’acceptation d’une révision constitutionnelle, quand bien même la révision de la Constitution fédérale ne signifiait pas autre chose. Au contraire de cette dernière, le projet de constitution prévoit d’autres innovations qui n’ont rien d’anecdotiques. Certaines d’entre elles sont d’une grande importance.

Au premier rang de celles-ci, les droits fondamentaux. N’ayons pas peur des mots : l’adoption de ce projet ferait de Genève le canton le plus avant-gardiste en la matière. Il convient de mentionner deux droits qui ont fait l’objet d’une attention particulière : l’interdiction des discriminations et le droit à un niveau de vie suffisant. Le projet ne se contente pas de confirmer la Constitution fédérale, il étend la portée de ces droits de manière significative.

Le droit au niveau de vie suffisant garantit à « toute personne » une « couverture des besoins vitaux afin de favoriser l’intégration sociale et professionnelle », en d’autres termes une garantie beaucoup plus importante que la garantie fédérale, dont d’aucuns connaissent dans la pratique la portée très restreinte. La même disposition garantit en outre à toute personne le « droit aux soins et à l’assistance personnelle nécessaires en raison de son état de santé, de son âge ou d’une déficience. » Pour les personnes âgées et handicapées, le droit à l’autonomie serait sans conteste un progrès non négligeable.

Un autre exemple d’avancée importante, dans le domaine de l’égalité et de la lutte contre la discrimination, est la disposition garantissant aux personnes handicapées « l’accès aux bâtiments, installations et équipements, ainsi qu’aux prestations destinées au public ». Cela fait des années que les personnes handicapées le demandent en vain. Non seulement les propriétaires de bâtiments anciens, mais également les promoteurs, n’en ont cure.

Prendre en compte l’ensemble pour faire un choix responsable

Certains voudraient nous présenter les droits fondamentaux comme des chiffons de papier. Non seulement la jurisprudence claire du Tribunal fédéral démontre le contraire, mais le projet comprend, là encore, les mécanismes de mise en œuvre les plus avancés : une disposition prévoit ainsi que « quiconque assume une tâche publique est tenu de respecter, de protéger et de réaliser les droits fondamentaux. » Cette disposition inclut en outre une évaluation périodique, et une nouvelle Cour constitutionnelle contrôlera la conformité des lois à la charte cantonale, ce que le Tribunal fédéral ne fait actuellement que de manière restreinte. Enfin, est-il utile de préciser que le projet prévoit que ces droits s’appliquent sans discrimination, notamment d’origine ou de nationalité ? Chacune et chacun pourra s’en prévaloir face aux autorités et aux tribunaux.

Les progrès ne s’arrêtent pas là. En matière environnementale, le projet prévoit notamment la garantie du droit à un environnement sain, l’introduction du principe de précaution, l’accès public aux rives (sous réserve des zones protégées) et la suppression de l’article 160B de la Constitution actuelle sur les transports privés. En matière de logement, le texte introduit la mixité sociale et intergénérationnelle dans la politique d’aménagement, le soutien financier aux communes qui construisent des logements, notamment d’utilité publique, et l’ancrage constitutionnel de l’obligation de prévoir un socle de logements sociaux pérennes.

Dans le domaine de la formation, le projet offre d’une part un droit à la formation initiale publique et gratuite, d’autre part l’extension de la formation obligatoire jusqu’à 18 ans. En matière de politique culturelle, un article prévoit la mise à disposition de moyens, d’espaces et d’instruments de travail adéquats pour les artistes et acteurs culturels.

La cohésion sociale n’est pas oubliée : lutte contre la pauvreté et ses causes, politique familiale et intergénérationnelle, intégration des étrangers et naturalisation facilitée. La reconnaissance du rôle et de l’autonomie des associations figure également en bonne place. La notion de subsidiarité de l’Etat est remplacée par celle de la complémentarité avec la société civile. Enfin, en matière de politique financière, la constitution et l’utilisation de réserves anticycliques permettraient tant au canton qu’aux communes un assouplissement bienvenu de la politique budgétaire.

Si le projet n’est pas accepté en octobre, l’ensemble de la population serait privée de ces progrès. Parce que nous pensons qu’ils auront un impact réel, nous avons décidé, même si nous n’avons pas obtenu tout ce que nous attendions, de soutenir ce projet. C’est aussi pour cela que le PS et les Verts ont décidé à de larges majorités de recommander le OUI à la nouvelle constitution le 14 octobre prochain.

Cyril Mizrahi, constituant, chef du groupe « Socialistes pluralistes »

Jérôme Savary, constituant, chef du groupe « Verts et associatifs »

 

Droits politiques : des avancées concrètes

Au chapitre de la démocratie, une déception, mais aussi une série de progrès. Il n’a pas été possible d’élargir les droits politiques. Le projet de nouvelle constitution ne marque cependant aucun recul en la matière. Sur d’autres plans, il facilitera concrètement la vie des forces progressistes. Les délais référendaires seront suspendus à Noël et de mi-juillet à mi-août. Le nombre de signatures exigé pour une initiative législative cantonale baissera de 30%. En contrepartie, les exigences en matière de signatures seront fixées en pourcentage du corps électoral. Le référendum obligatoire en matière de logement et de fiscalité fera place à un référendum facilité à 500 signatures : on ne votera plus inutilement sur des sujets non contestés et les référendaires gagneront le droit de s’exprimer dans  la brochure officielle. Le référendum pourra aussi être organisé d’office si une majorité qualifiée du Grand Conseil le décide. La clause d’urgence ne soustraira plus définitivement une loi au contrôle du peuple. Les droits politiques des personnes sous tutelle et le droit de récolter des signatures seront mieux protégés. Au bilan, les instruments démocratiques et surtout leur utilisation concrète sortent renforcés.

Thierry Tanquerel, constituant socialiste pluraliste

 

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