Xi Jinping ou «le président de tout»

Entretien avec Marie Holzman et Chen Yan •

Pages de gauche s’est entretenu avec les sinologues Marie Holzman et Chen Yan en marge du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) où elle et il étaient invité·e·s pour intervenir dans le cadre d’une conférence intitulée «qui peut contrer la Chine». Marie Holzman (MH) est spécialiste de la Chine contemporaine et de ses dissidences, elle est également écrivaine et traductrice de l’œuvre de plusieurs dissident·e·s chinois. Chen Yan (CY) est historien, journaliste et l’auteur de L’éveil de la Chine aux Éditions de l’Aube.


Comment la Chine a-t-elle changé depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping?

MH: Xi Jinping est arrivé au pouvoir en prétendant lutter contre la corruption. Certain ·e·s observatrices·eurs ont accueilli cela d’un bon œil, mais ce n’était qu’un prétexte. Année après année, Xi a réduit le périmètre de liberté d’expression des Chinois·es. Il a très rapidement commencé à s’en prendre à ce qu’on appelle les avocat·e·s défenseuses·eurs des droits civiques. Ce sont celles et ceux qui défendent les personnes accusées de dissidence, les chrétien·ne·s, les Tibétain·e·s, les Ouïgour·e·s par exemple. Elles et ils étaient déjà extrêmement peu nombreuses·eux en 2013, mais avec l’arrivée de Xi, elles et ils ont été raflé·e·s. En l’espace d’une semaine, il y a eu 300 arrestations. Elles et ils comptaient parmi les rares personnes restantes à se battre publiquement et activement en Chine pour les droits fondamentaux.

Puis Xi Jinping a continué et s’en est pris aux journalistes et aux hommes d’affaires. L’espace de respiration de la société chinoise s’est drastiquement limité au point qu’aujourd’hui on peut dire qu’il a disparu. Le système chinois est aujourd’hui un pur totalitarisme. Il y a certes l’illusion d’une société plurielle, qui est donnée par le fait que les gens ne s’habillent pas tous de la même façon, il y a des pauvres et des riches, etc. Mais c’est se tromper sur la nature du totalitarisme que de penser que sous un tel système tous les citoyen·ne·s se transforment en robots. Il y a toujours des interstices et une marge de liberté.

Comment l’opposition au régime s’organise-t-elle et quelle est son ampleur dans la population?

MH: Le mot «organisé» que vous venez de dire n’est même pas utilisable pour décrire la situation actuelle. Si deux personnes se retrouvent pour organiser une activité critique vis-à-vis du régime, c’est déjà l’arrestation. On peut en citer en exemple deux intellectuels qui ont pris la parole pour critiquer Xi Jinping: Xu Zhangrun et Ren Zhiqiang. Ils ont été soit condamnés au silence, soit à 18 années de prison pour Ren Zhiquiang qui avait écrit une lettre insultante à Xi. Ils n’avaient même pas «organisé» quoi que ce soit. On peut également penser à Liu Xiaobo, mort en 2017 en détention alors qu’il avait reçu le prix Nobel de la paix en 2010.

CY: Le terme «d’opposition» n’est également pas le bon. Il est trop occidental et suppose un contre-pouvoir alors que celui-ci n’existe pas en Chine actuellement. Ce mot suppose un contexte politique pluraliste, une droite et une gauche. Dans le régime totalitaire actuel, il n’y a pas d’opposition. L’État a le monopole sur tous les secteurs: pensée, économie, politique. Il n’y a pas de distinction entre l’État et le parti. Ce qui apparaît dès le début des années 1980, c’est une «dissidence» intellectuelle et idéologique vis-à-vis du monopole idéologique du parti.

Quelle est l’emprise effective de Xi sur le Parti communiste chinois? Que contrôle-t-il et que ne contrôle-t-il pas? Et par quels biais?

CY: En se moquant de lui certain·e·s l’appellent «le président de tout», car pour tout ce qui est important, il a créé une dizaine de commissions qu’il préside. On peut prendre un exemple particulièrement parlant avec la commission des finances qui est au-dessus du ministère de l’Économie. D’un point de vue institutionnel, Xi est actuellement le président de la République, le président de la commission militaire et le secrétaire général du parti communiste. Les trois fonctions les plus importantes du régime chinois. Même Mao n’avait pas ces trois fonctions. Étant donné la nature totalitaire du régime, le contrôle de ces trois fonctions n’était pas nécessaire et révèle que Xi ne semble pas si sûr de son propre pouvoir.

Comment la diaspora se positionne-t-elle par rapport au régime?

MH: Habitant au Chinatown à Paris (XIIIe arrondisement), nous côtoyons la diaspora d’assez près. Pour moi, c’est une déception totale, car la très grande majorité des Chinois·es de la diaspora soutiennent le régime. Il y a cette espèce de rêve, d’orgueil de la puissance de la Chine et puis ce mot magique maintes fois répété : l’efficacité. «La Chine est efficace», «Vous vous avez les gilets jaunes ou ce chantier qui dure depuis 4 ans, alors qu’en Chine on aurait fini en 4 mois», etc. Même parmi les intellectuel·le·s, il y a une scission très claire entre celles et ceux qui défendent le pouvoir et travaillent pour les instituts Confucius et celles et ceux qui ont leur coeur qui saigne en voyant le totalitarisme du régime s’étendre.

Ces instituts Confucius sont également des lieux de censure. Dans une université comptant un tel institut, il n’est plus possible de faire une thèse sur Liu Xiaobo par exemple. Je vois les désastres provoqués par les instituts Confucius en France.

Ayant traduit Liao Yiwu, un auteur très mal vu par le pouvoir, j’ai été confrontée aux pressions de l’institut Confucius qui a fait plusieurs fois annuler les événements de promotion de mes traductions dans les librairies locales.

CY: Pour moi ces instituts ne sont pas de la diaspora. Ce sont des organismes étatiques dirigés depuis Pékin. Les postes y sont très recherchés et sont souvent attribués à la deuxième génération des enfants des hauts cadres du parti.

Quelles pressions exerce le régime sur les dissident·e·s à l’étranger? Comment s’y prend-il?

MH: Une partie des intellectuel·le·s a acquis une certaine indépendance de pensée pour continuer à critiquer le régime malgré les menaces et les pressions grandissantes du régime, mais cela devient de plus en plus compliqué, y compris à l’étranger.

Le régime fait pression sur les sinologues par exemple en ne renouvelant pas les visas nécessaires à leur retour en Chine. Pour les dissident·e·s chinois·es trop critiques vis-à-vis du régime, lorsqu’elles et ils rentrent en Chine, la police va peut-être les attendre à l’aéroport. Avec plus de nuance, le régime utilise aussi volontiers les amitiés ou connaissances des personnes pour venir poser des questions sur les propos trop critiques tenus à l’étranger sur la Chine. Concernant les hommes d’affaires chinois, le régime utilise simplement son contrôle des autorisations administratives pour les faire rentrer dans le rang. Rien n’échappe au contrôle de l’État.

Étant présidente d’une association de solidarité avec la Chine. J’ai souvent accueilli des Tibétain·e·s et des Chinois·es chez moi et nous savons que certain·e·s passaient des informations plus loin. Parfois, certain·e·s des participant·e·s ont reçu des appels de Pékin pour directement les intimider en les informant que le pouvoir était au courant de nos rencontres.

Que peuvent faire les mouvements de gauche et pro-démocratie occidentaux pour soutenir les opposant·e·s exilé·e·s?

MH: «Éclairer les esprits». Donc ce que vous faites, car c’est long d’expliquer la dictature. Les Chinois·es renoncent souvent à expliquer ce qu’ils pensent vraiment aux Occidentales·aux, car elles et ils savent qu’elles et ils ne seront pas compris·es. C’est pourquoi il est très important d’informer sur la situation en Chine. Une manière de faire ça, c’est de diffuser les bons documentaires chinois ou sur la Chine. Par exemple Le monde selon Xi Jinping passé sur Arte.

Comment interpréter la mise au pas de Hong Kong et la fin du principe «un pays, deux systèmes»? Est-ce une capitulation des démocraties qui aura des conséquences ces prochaines années?

CY: Je ne dirais pas qu’il y a eu capitulation des démocraties occidentales, car Hong Kong était déjà retournée dans le giron de la Chine. L’Occident n’a pas réagi de manière suffisamment forte. On ne peut pas reprocher à l’Occident de n’avoir pas protégé Hong Kong, car ce n’est pas son rôle. En revanche, on peut dire que c’est de la folie de la part des dirigeant·e·s chinois·es, car elles et ils ont tué la poule aux oeufs d’or. La ville profitait énormément à la Chine et ne nuisait pas au régime, bien au contraire. Grâce à Hong Kong, la Chine a pu croître rapidement depuis des réformes économiques. Hong Kong était déjà utilisé comme base renforçant le pouvoir de la Chine. Pendant longtemps Mao et les autres dirigeants ont protégé Hong Kong, car ils ont vu le profit qu’il pouvait en tirer. Détruire le statut particulier de Hong Kong, c’est de la folie.

Qu’en est-il de Taïwan? Est-ce que les situations sont comparables?

CY: C’est le même problème, mais Taïwan sera plus difficile à annexer que Hong Kong.

MH: Taïwan a désormais compris qu’«un pays deux systèmes» était une illusion. Il y a quelque chose qui ressemble d’ailleurs à l’Ukraine. Poutine avait un pays à ses portes qui avait une démocratie forte, et Poutine a craint que les idées démocratiques se diffusent en Russie. Hong Kong a aussi représenté cette menace pour le pouvoir chinois. Taïwan représente une situation similaire, avec une présidente élue démocratiquement et une alternance des pouvoirs. La démocratie y est très active et vivante.

Quelles sont les conséquences de la pandémie et de sa gestion pour le pouvoir chinois d’une part, et pour la population d’autre part? Et pour les opposant·e·s?

CY : Le pouvoir chinois n’a pas été capable de gérer autrement la pandémie que par la force et l’arbitraire, ce qui est révélateur de sa manière de fonctionner. En Occident, la pandémie a été gérée de manière plus souple et transparente. Les décisions politiques ont été faites sur des bases scientifiques alors qu’en Chine l’arbitraire du gouvernement était l’élément déterminant et celui-ci communiquait peu sur ses décisions. Pendant un mois, le gouvernement a dissimulé la nature du virus au début de la pandémie à Wuhan pour des raisons politiques. Des jours précieux ont été ainsi perdus, puis le gouvernement a fait volte-face et a appliqué un politique de la tolérance zéro et de quarantaine stricte. Le gouvernement a appliqué une politique sanitaire totalitaire. Une politique qu’aucun autre régime n’aurait pu mener, mais qui révèle bien sa nature.

Propos recueillis par Hervé Roquet

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 183 (printemps 2022).

Crédit image: Denys Nevozhai sur Unsplash.

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