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Trois mois de soulèvement démocratique en Syrie


Par David Lagarde, chercheur en géographie. David Lagarde a passé trois mois à l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO) à Damas. Cet article complète celui paru dans PdG no.106, décembre 2011, « Pourquoi le régime syrien résiste à la révolte? »


 

Cet article relate quelques-uns des événements qui ont eu lieu en Syrie au cours de mon séjour dans le pays, entre le 13 avril et 30 juillet 2011. Il ne s’agit toutefois pas là d’une vue exhaustive de la situation, simplement d’un regard sur certains faits vécus au cours de ces derniers mois.

Vendredi 22 avril 2011 :

Deir ez-Zor (dans l’Est du pays) est entourée de check-points. Des membres des services de sécurité, kalachnikovs en bandoulière, se joignent aux policiers et militaires pour contrôler l’entrée de la ville. Chaque passager doit montrer ses papiers d’identité, et les véhicules sont minutieusement fouillés afin qu’aucune arme ne pénètre entre les murs de la cité. Quelques minutes avant le début de la grande prière, la ville est complètement déserte, on n’y trouve pas âme qui vive. L’endroit le plus sûr dans l’immédiat est incontestablement la première chambre d’hôtel qui s’offrira à moi. Personne ne sait encore ce qui va se passer à la sortie de la mosquée. Même si cette ville n’a jusqu’à présent pas été concernée par la révolte, la tension monte chaque jour un peu plus dans le pays, et le nombre de personnes qui se rallient au mouvement de contestation ne cesse d’augmenter.

Un peu plus d’une heure est passée depuis l’appel à la prière. Soudain, un cortège se fait entendre au bout de la rue menant à la place centrale. Les commerçants se précipitent pour baisser les stores de leur magasin et ranger les quelques chaises qui traînent sur le trottoir tandis que les manifestants se rapprochent de la place en scandant des slogans hostiles au régime. Bilan final de la journée : un bâtiment officiel incendié et caillassé à l’aide de pavés et de morceaux de trottoir arrachés et un millier de manifestants dispersés en fin d’après-midi par les pompiers à coup de canons à eau. À 19 heures, le calme est revenu dans la ville encore marquée par l’agitation de cette première journée de révolte à Deir ez-Zor.

Samedi 23 avril 2011 :

En soirée, les forces de sécurité bloquent encore plusieurs entrées de la ville. Les agents du régime filtrent les véhicules tout en effectuant de minutieux contrôles d’identité. Listings en main, ils recherchent les manifestants de la veille après les avoir laissé s’exprimer dans une liberté très surveillée. En plus des noms, ils disposent aussi de photos. Quand on connaît le sort réservé aux opposants dans ce pays, ce genre de scènes fait froid dans le dos !

Dimanche 24 avril 2011 :

Des manifestations ont également eu lieu vendredi à Tadmor. Là encore, on a laissé la rue s’exprimer, tout en filmant minutieusement la scène. Dès le lendemain, les moukhabarat étaient à la recherche des contestataires. Un restaurateur de la ville me confie que son oncle s’est fait arrêter la veille. Ses proches sont depuis lors sans nouvelles de lui. Au cours de notre discussion, une voiture s’arrête à notre hauteur. C’est son cousin, le fils de son oncle arrêté plus tôt. Il a le teint livide. Il vient d’apprendre que la police est également à sa recherche. Il sait pertinemment qu’il ne leur échappera pas et qu’il va par conséquent être soumis à une garde à vue d’au moins deux jours, accompagnée d’un interrogatoire très musclé destiné à lui faire passer l’envie de s’exprimer. Un autre de ses cousins, descendu dans les rues de Homs la semaine dernière, est passé par là lui aussi. Après être resté deux jours enfermé dans une cellule, les yeux bandés et les poignets attachés dans le dos sans boire ni manger, et sans que personne ne lui adresse la parole, des poings se sont violemment écrasés sur toutes les parties de son corps pendant plusieurs minutes. Après cela, on l’a relâché sans lui poser une seule question.

Pendant toute la soirée, la police va sillonner les rues de Tadmor à la recherche des manifestants qu’ils n’ont pas encore réussi à arrêter. Tout cela commence dangereusement à prendre des allures de rafle.

Lundi 25 avril 2011 :

En rentrant à Damas, à hauteur de Douma, plusieurs militaires sont postés et filtrent la circulation. Comme les jours précédents, contrôles d’identité. Le centre de Damas n’a jamais été aussi calme. Les rues normalement envahies par le trafic sont vides, tout comme le souk Ammedieh. En arrivant chez moi, je rencontre des amis rentrés d’Alep la veille en fin d’après-midi. Un immense check-point avait été installé à hauteur de Harasta, sur la route reliant Damas à Homs. Ils ont passé plus de ¾ d’heure dans le noir sans savoir ce qui se passait. Tous les éclairages publics étaient éteints et les militaires faisaient couper les phares de toutes les voitures. Les étrangers qui étaient parmi eux ont tous pris la décision de quitter la Syrie.

Mardi 26 avril 2011 :

Tous les étrangers se posent la même question : rester ou partir. Les ressortissants américains et anglais décident dans leur grande majorité de quitter le pays. Pour les autres nationalités, le choix se fait plus au cas par cas. L’ambassadeur de France fait le tour des institutions françaises pour se contenter de rappeler les consignes de sécurité à respecter. Difficile d’en faire plus tant personne ne peut prévoir la suite des événements. Que se passe-t-il en ce moment dans les hautes sphères du pouvoir syrien ? Qui a réellement donné l’ordre d’ouvrir le feu sur des manifestants pacifiques ? De faire entrer les chars à Deraa ? Plus la situation s’enlise et plus la rumeur d’un complot fomenté par Rami Makhlouf et Maher Al-Assad (respectivement cousin et frère de l’actuel dictateur) pour s’emparer du pouvoir paraît crédible.

Jeudi 28 avril 2011 :

Quelques heures nous séparent du « Vendredi de la colère contre le régime ». Voilà longtemps que l’appel du muezzin à la grande prière hebdomadaire n’aura pas recelé autant de solennité en Syrie. Tout le monde sait ici que cette journée risque d’être décisive. Le régime a poussé la contestation jusqu’à un point de non-retour. Vendredi dernier, le sang a bien trop coulé pour que le vent de révolte qui secoue le pays depuis six semaines retombe comme si rien ne s’était passé. En plus de perdre le soutien d’une grande partie de la population, le parti Baas a réveillé des tensions communautaires qu’il avait réussi à faire taire, au moins en apparence, depuis son accession au pouvoir. Les minorités se rallient de plus en plus derrière le régime, de peur que la majorité sunnite ne cherche à se venger de la domination qu’elle a subie au cours de ces quarante dernières années. Cette hypothèse est d’ailleurs largement véhiculée par le régime lui même afin d’asseoir sa légitimité. Mais en soufflant sur les braises de l’affrontement inter-communautaire, il ne cesse de glisser chaque jour un peu plus vers une guerre civile susceptible d’anéantir le pays et la stabilité déjà très précaire de la région.

Vendredi 29 avril 2011 :

Des tirs de mitraillette ont retenti cette nuit pendant plus d’une heure et demie dans la ville. Impossible de savoir quelle en était la cause. Peut-être simplement une manière pour les forces de sécurité de dissuader les manifestants de descendre dans la rue aujourd’hui ? Comme d’habitude ici, on ne peut que supposer… Le reste de la journée a finalement été plutôt « calme » à Damas. Dans le reste du pays, en revanche, environ 70 morts sont à déplorer, dont des habitants des villages proche de Deraa venus apporter des vivres à la population de la ville, assiégée depuis une semaine et privée d’eau, d’électricité et de nourriture. L’armée entoure aussi Douma, Homs et Banyas. La situation à Lattaquié est toujours très tendue. Aujourd’hui, une fillette sortie sur son balcon pour regarder les manifestants passer en bas de chez elle a été abattue par un sniper. La mort de cette enfant nous ramène tristement aux origines de cette révolte.

« “Le peuple veut la chute du régime”. Cette phrase a été répétée, tant en Tunisie qu’en Egypte. Tous les Syriens l’ont apprise, des enfants qui savaient à peine parler, aux vieillards qui n’en avaient plus envie. Il en a été de même dans la calme ville de Deraa […]. Dans une des écoles primaires de Deraa, un enfant écrivit le slogan que tout le monde avait appris : “Le peuple veut la chute du régime”. Immédiatement, les services de sécurité, dirigés par le cousin du président Bachar, prirent d’assaut cette école et arrêtèrent quinze enfants de 10 à 13 ans. Les mères attendirent en vain le retour de leurs enfants. Le silence régna sur la ville – un mélange de peur qu’inspirait toujours la férocité des services de sécurité et d’anxiété quant au sort des enfants ainsi que de beaucoup, beaucoup de colère. Les parents formèrent alors une délégation pour rencontrer le responsable des services de sécurité. La réponse du cousin de Bachar fut tranchante et brutale : “Vous êtes des animaux. Oubliez vos enfants et retournez vers vos femmes en faire de nouveaux et si vous n’en êtes plus capables, nous le ferons à votre place”. »[1]

Les enfants sont retournés chez eux avec des traces de coups, les ongles arrachés, après avoir passé plusieurs jours entre les mains des moukhabarat. Le vendredi suivant, la ville toute entière est descendue dans la rue afin d’exprimer sa colère, sa frustration, après quarante ans d’humiliation causée par la famille Assad et ses sbires.

Vendredi 17 juin 2011 :

Presque deux mois se sont écoulés et la situation n’a pas réellement évolué. Le gouvernement s’enlise chaque jour un peu plus dans la répression, au point d’avoir causé la mort plus de 1300 fois, massacre qu’il tente de mettre sur le compte de groupes terroristes venus de l’extérieur. Ce constat pourrait être encore plus lourd si l’on prend en compte les disparus et les prisonniers dont une partie sont sûrement morts aujourd’hui. Des bruits sinistres circulent dans la capitale. Des bateaux chargés de prisonniers partiraient de Lattaquié et reviendraient vides… Vue de Damas, la situation est très difficile à analyser. Aucun événement ne peut véritablement nous permettre d’émettre un jugement sur ce qui se passe dans le reste du pays. Seuls les médias peuvent nous aider à nous faire une idée. Malheureusement, on a le choix entre les informations distillées par l’agence officielle SANA, autrement dit par le régime lui même, et les médias étrangers qui, étant interdits de territoire, sont contraints d’échafauder une information depuis l’extérieur, en se basant sur des récits de manifestants.

Tout le monde ici est à peu près persuadé que la situation ne reviendra pas au calme. Du moins sans la chute du régime. Par contre, cela peut prendre beaucoup de temps et Al Assad ne lâchera pas le pouvoir avant d’avoir anéanti son pays. S’il réalise qu’il ne se sortira pas de ce soulèvement démocratique, il préfèrera laisser un pays en ruine derrière lui. Pendant ce temps, les tensions s’exacerbent inexorablement entre les différents camps. On ne regarde plus son voisin de la même manière. En dehors des lieux touristiques, les défenseurs du régime commencent à avoir des doutes sur les étrangers, qui peuvent rapidement être soupçonnés d’être des journalistes. C’est ce qui nous est arrivé la semaine dernière à Rouknedine, lorsque des moukhabarat sont venus nous interpeller, une amie et moi, avant de nous amener au commissariat pour vérifier notre identité. Pour la première fois dans ce pays je me suis véritablement senti menacé. En effet, jamais je n’avais pu lire autant de mépris dans le regard d’un de mes interlocuteurs.

Lundi 20 juin 2011 midi :

Bachar s’apprête à prononcer son troisième discours depuis le début du soulèvement en Syrie. À peine l’aiguille a-t-elle franchit la barre des 12 heures que la connexion Internet se coupe. Le pays se renferme dans sa coquille le temps de l’intervention du « lion ». Je décide de sortir assister au discours depuis la terrasse d’un café. Dehors, le seul son que l’on entend est la voix de Bachar qui se fait écho à elle même. De toutes les échoppes sort le timbre de la voix présidentielle. Il en est de même des voitures, et de toutes les télés sorties dans la rue pour l’occasion. Le pays tout entier n’a d’ouïe que pour Bachar.

L’annonce de la mise en place d’un grand dialogue national est l’unique objet à sortir de ce discours. Toutefois, qu’en sera-t-il dans les faits. Les opposants sont peu nombreux à croire en ces promesses. Si le dialogue national doit se faire comme la composition des députés à l’assemblée, alors ce n’est même pas la peine de se rendre à la table des négociations. Pendant ce temps-là, une opposition essaie de se structurer depuis l’étranger. Cela souligne bien la fracture qui existe dans l’opposition syrienne, entre ceux qui se disent prêts à négocier avec le régime, les opposants en exil qui pensent déjà à s’assurer un avenir politique dans une nouvelle Syrie démocratique, et le peuple de la rue qui se bat et tombe en martyr pour obtenir la chute du régime sans véritablement penser à la suite.

Jeudi 30 juin 2011 :

Depuis le début du mouvement de contestation, de nouvelles chansons à la gloire du régime sortent chaque semaine. Désormais, dans les clubs de la capitale, les DJs sont obligés à un moment ou à un autre de la soirée de jouer des tubes à la gloire du président. Ce soir, des shabias ont fait une démonstration pro-régime dans un bar de la vieille ville en sortant des posters et des drapeaux à l’effigie de Bachar, tout en dansant sur les tables, partageant l’assemblée entre peur et incrédulité.

Jeudi 7 juillet 2011 :

Les Syriens se découvrent une nouvelle passion, la politique. Si je n’avais jusqu’à présent jamais entendu personne parler ouvertement de politique dans ce pays (du moins en présence d’un étranger), c’est désormais chose faite. Plus personne ne semble vraiment craindre ce genre d’activités. Même dans les cafés, au restaurant, on se lance dans de grands débats au cours desquels certains n’hésitent pas à critiquer ouvertement le régime.

Lundi 11 juillet 2011 :

L’ambassade de France vient d’être prise pour cible pour la troisième fois depuis samedi. Les manifestants pro-régime souhaitent marquer leur mécontentement suite à la visite des ambassadeurs de France et des Etats-Unis à Hama vendredi. Si les deux premiers rassemblements n’avaient donné lieu qu’à un lancer de tomates et quelques slogans contre la France, cette fois-ci, les choses, vraisemblablement orchestrées par le gouvernement, ont été plus loin. Depuis le matin à 11 heures, une petite dizaine de bus de la compagnie Qadmous se sont succédés pour déposer hommes, femmes et enfants à proximité de l’ambassade, tout ça sous le regard de la police. Une heure et demie plus tard, en passant devant l’ambassade, je me faufile au milieu de la foule des partisans que je trouve plus agitée qu’à son habitude, au point que les forces de sécurité soient obligées d’embarquer trois ou quatre individus plus excités que les autres. C’est alors que j’aperçois le trottoir de l’ambassade recouvert de bris de glace. Toutes les fenêtres ont été brisées, les murs tagués. Des pierres recouvrent le sol sans qu’aucun morceau de trottoir n’ait été arraché, ce qui prouve bien le caractère planifié de l’opération. Je ne m’éternise pas et poursuit ma route tandis que les manifestants prennent à présent la direction de l’ambassade américaine pour réitérer la même opération sur une cible différente. Plus tard dans la soirée, nous apprendrons que les “manifestants“ étaient arrivés de Tartous le matin même, avant de repartir après avoir attaqué les ambassades de France, des États-Unis et du Qatar.

Mardi 12 juillet 2011 :

Jusqu’au début de la révolte, les Chrétiens étaient considérés comme relativement neutres vis-à-vis du régime, se satisfaisant de la sécurité que lui offrait ce dernier sans pour autant tomber dans une admiration aveugle. Mais avec le début des protestations, il semblerait qu’ils se soient ralliés au pouvoir en place, craignant l’arrivée de Salafistes à la tête du pays en cas de chute du régime. Le père Paolo du monastère de Mar Musa, dont nous recueillons le témoignage, est plutôt connu pour ses idées contestatrices qui lui valent une surveillance rapprochée depuis plusieurs années. Chaque semaine, il quitte son monastère pour aller à la rencontre des Chrétiens dans différentes villes de Syrie. Il nous confie avoir remarqué une très nette montée des tensions entre les différentes communautés religieuses qui vivaient jusqu’alors dans une tolérance mutuelle. Désormais, les Chrétiens sont considérés par beaucoup comme des supporters du régime, au même titre que les Alaouites ou les Druzes. À Homs particulièrement, les minorités seraient au bord de l’affrontement. Certains chrétiens se barricadent dans leur quartier de peur de se faire attaquer par les opposants au régime. Voilà un des slogans qui a pu être entendu dans des manifestations hostiles au pouvoir « les Chrétiens à Beyrouth, les Alaouites sous la terre ». Soulignons toutefois que seule une minorité des opposants semble tenir ce genre de propos. Mais le message est relayé et amplifié par les minorités visées qui prennent de plus en plus peur et se rattachent à l’espoir d’un retour au calme, préférant conserver leur sécurité plutôt que d’obtenir la chute du régime, ce qui, d’après eux, les amènerait vers l’inconnu sans leur permettre forcément d’obtenir plus de libertés individuelles. Pour le père Paolo, la Syrie se rapproche inexorablement du scénario irakien, et si le régime n’engage pas de véritables réformes au plus vite, alors la guerre civile sera selon lui inéluctable.

Mercredi 20 juillet 2011 :

Une manifestation d’une soixantaine d’étudiants hostiles au régime a rapidement été dispersée cet après-midi dans la vieille ville. Alors que ceux-ci défilaient en lançant des slogans et en brandissant des pancartes appelant à plus de liberté dans le pays, un groupe de shabias a surgit de nulle part avec des chaises et des bâtons afin de les faire taire. Les opposants sont tous partis en courant dans des directions différentes sans que nous ayons eu le temps de voir si certains d’entre eux avaient été arrêtés. Il est en général impossible de tomber sur une manifestation anti-régime dans le centre de Damas tant elles sont rapidement dispersées. Les manifestations les plus proches ont généralement lieu dans les quartiers d’al Midan, Qaboun, Barzeh ou Rouknedine, tous situés à une vingtaine de minutes du centre. Toutefois, l’approche du Ramadan donne de l’ampleur et de l’espoir au mouvement. On parle d’une manifestation qui rassemblerait tous les opposants des environs de Damas sur la place des Ommeyyades (symbole du pouvoir et lieu de rassemblement des supporters du régime) pour le premier jour du Ramadan. Il va s’agir d’une période décisive dans le mouvement de contestation débuté le 15 mars. Si les manifestations ont principalement lieu le vendredi, c’est parce que les Syriens étaient, jusqu’à la levée de l’état d’urgence, interdits de rassemblement[2]. Les vendredis sont donc les seuls jours où ils peuvent se réunir massivement dans les mosquées. Or, pendant le Ramadan, celles-ci seront fréquentées quotidiennement par les fidèles, ce qui veut dire que chaque jour de la semaine, d’importantes manifestations auront lieu, ce qui risque fort de faire basculer le régime ou du moins de l’affaiblir bien plus qu’il ne l’est déjà.

Samedi 30 juillet 2011 :

Mon séjour en Syrie touche à sa fin. Le bus que j’emprunte pour rejoindre la Turquie doit s’arrêter à Hama afin de déposer deux passagers. À l’approche du centre ville, des check-points sont dressés par les opposants qui semblent avoir pris le pouvoir dans cet ancien bastion des frères musulmans où Hafez al Assad avait déjà réprimé un soulèvement en 1982, faisant entre 20’000 et 40’000 morts selon les estimations. Contrairement à Damas, on a l’impression d’être ici sur un champ de bataille aux faux airs de Benghazi. Des drapeaux des insurgés libyens côtoient d’ailleurs les drapeaux syriens au sommet des barricades. Plus on s’approche du centre et plus la progression du bus est difficile. Les barrages, construits avec toutes sortes de matériaux imaginables, se multiplient. Des arbres, des panneaux publicitaires, des blocs de pierre, des poubelles, des sacs de ciments, des portails, des poteaux électriques. Tout ce qui peut bloquer une route est récupéré ou arraché afin de permettre aux opposants de filtrer le trafic dans la ville. Armés de bâtons en bois, des personnes âgées de 10 à 60 ans organisent leur révolution et tiennent leur ville face aux hommes de Bachar. Si le père avait eu raison d’eux, le souvenir du massacre de 1982 n’a pas été effacé, et les habitants de Hama semblent bien tenir ici leur revanche. À l’approche du Ramadan, le nombre de villes syriennes suivant l’exemple de Hama risque fort d’augmenter. Cela nous amène forcément à nous interroger sur l’avenir politique d’une Syrie libérée du clan Assad. L’exercice le plus difficile depuis le début du soulèvement est de donner un visage à l’opposition. Si l’objectif commun à l’ensemble des opposants semble être d’obtenir une liberté de parole et une dignité tout à fait légitime, quelles sont leurs revendications politiques ? Quelle physionomie souhaitent-ils donner à une Syrie démocratique ? Qui assurera la transition vers la démocratie ? Qu’adviendra-t-il des minorités religieuses en cas d’arrivée au pouvoir de partis islamistes ? Une fracture semble déjà exister entre la rue, les intellectuels et les exilés qui tentent de fonder un gouvernement de transition à l’étranger. Toutes ces questions qui restent en suspend sont autant de difficultés que le peuple syrien devra réussir à surmonter, espérons le main dans la main, mais qui laisse forcément craindre de longs mois, voir des années de transitions difficiles à venir pour le pays.


[1] Moustapha Khalifé, « Le président-père », Le Monde, éd. en ligne. 14-06-2011

[2] Désormais, les manifestations sont autorisées, à condition d’obtenir une autorisation délivrée par les autorités. Après avoir procédé à plusieurs demandes refusées, les manifestants (pro-, comme anti-régime) continuent de descendre dans la rue de façon illégale.

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