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Quatre ans de majorité de gauche à Neuchâtel

En 2005, la gauche prenait le contrôle d’un canton pour la première fois depuis 1945. Le Parti socialiste et ses alliés POP-Verts-Sol gagnaient en effet une majorité au Conseil d’État et au Grand Conseil, ce qui a suscité beaucoup d’espoir dans leur électorat. A l’approche des élections du mois d’avril, le temps est venu de faire un rapide bilan de ces quatre années.

Si ce gouvernement de gauche s’est incontestablement montré plus actif que ses prédécesseurs, force est de constater que cela ne semble pas avoir toujours été dans un sens très fidèle à ses engagements politiques initiaux. Ces quatre ans laissent l’impression étrange que, une fois au gouvernement, les idées politiques n’ont plus lieu d’être et sont remplacées par ce qui est pudiquement nommé «pragmatisme», mais qui relève purement et simplement de la continuation des politiques précédentes. L’on a ainsi pu s’interroger sur l’orientation politique véritable de ce Conseil d’État, puisqu’il s’est à maintes reprises montré aussi prompt que ses adversaires d’hier à prendre les mêmes décisions.

Restrictions budgétaires

Parmi celles-ci, la plus significative et celle qui a véritablement marqué la législature est sans aucun doute la politique de restrictions budgétaires. Sous le prétexte du frein à l’endettement, le canton a en effet vécu ces quatre dernières années la ceinture serrée au maximum, l’argument financier prenant le pas sur tous les autres. On savait que ces mécanismes limitant la marge de manœuvre politique rendaient très difficile la mise en place d’un projet ne se bornant pas à la gestion du quotidien, on a malheureusement découvert que ce gouvernement de gauche en a si bien adopté le principe et la rhétorique qu’il en a même exagéré l’usage. L’argument du frein à l’endettement a en effet révélé sa vraie nature lors du débat sur le budget 2009, puisque le Conseil d’État aurait souhaité un déficit bien en deçà de ce que prévoit ce mécanisme, montrant ainsi qu’il était en fait soucieux d’équilibre budgétaire et non du simple respect de montant maximal des déficits. Qu’un gouvernement de gauche, qui plus est en période de crise, se croie mandaté par ses électeurs pour couper dans les services de l’État afin d’équilibrer le budget cantonal témoigne d’une curieuse conception des valeurs politiques censées l’animer. De fait, ce Conseil d’État n’a cessé de rabâcher les arguments habituels de la droite, en matière de rigueur budgétaire, de réduction des prestations, ou de «rationalisations» (de l’administration, des hôpitaux, de la formation, etc.). Si l’on connaît bien la dimension tactique de ces arguments pour la droite (qui ne cherche qu’à limiter autant que possible «l’emprise» de l’État), il est déplorable de voir les mêmes arguments soutenir la politique d’un exécutif de gauche.

Mais ce qui est le plus inquiétant, c’est que ce genre d’expérience gouvernementale a de quoi faire désespérer du réformisme. Si la gauche, lorsqu’elle est au pouvoir, met en œuvre la même politique que la droite, quel intérêt peut-il encore y avoir à voter pour elle? Cela peut même se révéler contre-productif puisqu’un tel gouvernement rend en fait les luttes sociales plus difficiles, comme tétanisées de devoir affronter un pouvoir censé être de leur côté. Si la présence de la gauche au gouvernement n’est que le moyen de démanteler les politiques sociales que la droite n’ose pas toucher, il serait peut-être temps de ranger les ambitions personnelles au tiroir et de retourner faire de la politique là où elle est efficace: dans la rue, auprès des travailleurs, dans les associations, dans les journaux, avec les militants. Si, au contraire, nous nous battons sur le terrain électoral, c’est bien parce que nous sommes persuadés d’avoir d’autres politiques à mettre en œuvre, non pas seulement meilleures, mais surtout soucieuses d’autres catégories de personnes: les travailleurs, les précaires, les sans-papiers et les immigrés, les chômeurs, les pauvres etc. Non, la droite et la gauche ne défendent pas les mêmes personnes, du moins pas prioritairement. Or l’expérience neuchâteloise de la majorité de gauche a trop souvent fait oublier ce principe pourtant élémentaire.

Pas d’alternatives?

Prétendre, comme le fait le Conseil d’État depuis 2005, que, dans les temps difficiles, on ne gouverne pas à droite ou à gauche, mais qu’on ne fait que chercher des solutions aux problèmes qui se posent, est à la fois malhonnête, mensonger et politiquement inepte. Penser et faire penser qu’il n’y a qu’une politique possible est la marque de fabrique de la droite suisse depuis au moins 150 ans, c’est l’idéologie thatchériennne du TINA (there is no alternative), c’est la doctrine du capitalisme libéral – sous la forme très helvétique du secret bancaire, de l’évasion fiscale et des banques toutes-puissantes – comme achèvement de l’histoire. On devrait peut-être se souvenir que toute l’expérience du mouvement ouvrier, puis de la gauche institutionnelle, a consisté à dire, et à montrer aussi, qu’il n’en était pas ainsi, qu’il y avait des solutions alternatives à l’enrichissement de quelques-uns au détriment de tous les autres. Celle-ci demanderait de l’imagination, de la créativité et de l’innovation, car il est vrai – et cela je veux bien le laisser au Conseil d’État – que la politique suisse depuis 150 ans n’a pas vraiment indiqué la voie à suivre et qu’une action gouvernementale de gauche reste presque entièrement à inventer aujourd’hui en Suisse. Si cette dernière législature peut nous faire douter de la capacité des magistrats actuellement en poste de le faire, je refuse pour autant de croire qu’elle a montré la seule politique dont la gauche soit capable en Suisse.

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